Le 11 mars dernier, le gouvernement présentait un projet de loi légalisant la culture du cannabis à usage récréatif et industriel afin, explique le ministre de l’Intérieur Abdelouafi Laftit » de sauver les régions connues pour la culture du cannabis de la déperdition économique». Tous les partis sont favorables à ce projet, sauf, un comble, le Parti de la Justice et du développement, celui du chef du gouvernement Saâdeddine El Othmani. Les islamistes se divisent, font tout pour retarder l’adoption du texte, certains comme Abdelilah Benkirane, ancien Premier ministre, menacent même de quitter le parti. Mercredi, Abdelouafi Laftit a encore présenté un rapport très positif sur les études de faisabilité relatives au développement du cannabis, élaboré par son ministère.
Environ 400 000 personnes, soit 60 000 familles vivent de la culture, illégale du chanvre indien, dans les provinces du Nord sur une surface de 50 000 hectares contre 130 000 au début des années 2000. Un hectare rapporte par an de 24 000 à 75 000 dirhams en fonction de la qualité du sol et de l’irrigation. Après la légalisation et l’organisation du marché, les revenus passeraient à plus de 110 000 DH l’hectare. Les marchés prioritaires pour le cannabis médical marocain sont l’Espagne, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et l’Allemagne, avec des prévisions de 25 milliards de dollars/an à l’horizon 2028, précise le rapport, ajoutant que la prise en compte du potentiel des marchés français et italien renforcera le volume du marché potentiel de 17 milliards de dollars, pour atteindre 42 milliards de dollars. Des investisseurs, notamment israéliens, seraient déjà intéressés.
Au Parlement, les débats ont été très libres et même amusants avec des fous rires et le vocabulaire de la rue. Ainsi, Noureddine Madiane, de l’Istiqlal, un parti réputé conservateur, a défendu farouchement le kif, le Sebssi, en lançant à ses adversaires du PJD, « celui qui fume ne commet jamais de crime, mais devient zen et va généralement dormir, contrairement à ceux qui consomment le Qarqoubi, L’bayda (la Cocaïne), l’héroïne, les vrais drogues auxquelles il faut s’attaquer » L’istiqlal avait déposé un projet similaire dès 2013.
Les islamistes du PJD s’opposent au projet pour des raisons politico-religieuses, parlent de morale, tentatives d’occidentalisation et de laïcisation de la société. Mais à Mustapha Lhaya, PJD,qui reprochait à ses collègues de ne prendre « de la modernité que les valeurs immorales et les calamités », le député de gauche Omar Balafrej a opposé une réponse qui a déclenché le rire : « « Le cannabis est venu avec les Arabes au 1er siècle de l’hégire, pas de l’Occident ». Pour de nombreux élus, une réforme est nécessaire car « quand une loi n’est plus adaptée à la réalité et au quotidien des Marocains, il faut la changer ».
Le rapport du ministre de l’Intérieur ne cache pas les risques potentiels. Il souligne que la culture du cannabis est une activité destructrice de l’environnement du fait de l’exploitation excessive des terres agricoles, due à l’abandon de la rotation culturale, l’épuisement des eaux souterraines et l’usage excessif d’engrais qui pollue les eaux souterraines.
L’opinion est divisée entre les pro légalisation et ceux qui craignent une augmentation des zones de culture de la drogue et l’aggravation du phénomène du trafic des stupéfiants.
Le PJD en perte de vitesse, qui a peur d’exploser si le projet est adopté, à bien peu de chances d’arriver à le repousser après les législatives de septembre, comme il le souhaite. Le cannabis, un enjeu législatif… même si Abdelouafi Laftit « défie quiconque de me prouver que ce projet a une relation avec les élections ».