Il est bien loin le temps historique et glorieux de Toussaint Louverture, esclave affranchi et libérateur d’Haïti en 1793. Ce pays de 11,4 millions d’habitants, le plus pauvre de l’Amérique latine et des Caraïbes, n’est plus que synonyme d’instabilité, de misère -60% de la population sous le seuil de pauvreté- de criminalité, de banditisme, d’enlèvements contre rançon, de trafic de drogue, de corruption, d’assassinats d’opposants, d’impunité… Les Haïtiens aisés prennent l’avion pour aller de la capitale Port-au-Prince à Jacmel, 82 kilomètres plus loin, en raison des dangers de la route contrôlée par des bandits!
On savait que le président Jovenel Moïse, 53 ans, était très contesté et impopulaire mais son assassinat constitue une réelle surprise. Nul ne pensait qu’on en arriverait à un tel point et que cela veut dire que le pays qui occupe le tiers de l’île d’Hispaniola, est tombé plus bas qu’on ne le pensait, totalement déstabilisé, plongé dans une confusion sans égale. Qui a pu commettre cet assassinat et blessé grièvement l’épouse du président? On parle d’un commando qui parlait anglais et espagnol, composé de Vénézuéliens et de Colombiens, ce qui en cas de confirmation, ferait penser à des narco trafiquants. Pourquoi? En janvier, un trafiquant notoire a été libéré par un juge… Règlement de comptes? Jovenel Moïse passait pour être un corrompu qui exigeait l’impunité pour ses hommes de main et qui aurait couvert, sinon ordonné, des assassinats. Dans cet Haïti plongé dans l’incertitude proche du chaos depuis de très longues années, on est toujours plus proche des « tontons macoutes » de « papa Doc » Duvalier au pouvoir dictatorial de 1957 à 1986 et du supplice du pneu enflammé », le « père Lebrun » réservé à ses opposants par le père Aristide qui avait fait croire, un court moment, à la démocratie.
En quatre ans, Jovenel Moïse a usé six Premiers ministres et il venait d’en nommer un septième, Ariel Henry, chargé d’organiser des élections réclamées par la communauté internationale avant la fin de l’année. Accusé d’inaction, il ne gouvernait plus que par décrets, faute d’élections parlementaires. Pour l’opposition soutenue par la justice, le mandat du président avait pris fin en février, mais Moïse estimait qu’après l’annulation d’un scrutin pour fraude en 2016, il avait été réélu et investi en 2017 et devait donc rester en poste jusqu’en 2022. On a du mal à croire que ce soit un motif d’assassinat. Même si la réforme constitutionnelle qu’il souhaitait pour augmenter les pouvoirs de l’exécutif, était largement rejetée. Plutôt donc une conséquence de rivalités non politiques, d’affaires douteuses. Ou une opération commanditée par des exilés qui estiment que leur pays a été transformé en une « vaste jungle », en « un paradis pour tous les malfaiteurs » par Jovenel Moïse. En novembre dernier, leur média Haïti-Observateur écrivait que « le pays ne connaîtra un répit qu’avec l’éjection de Jovenel Moïse du palais national et son parti chassé des institutions de l’Etat ».
L’état de siège a été déclaré.