Les Jeux olympiques de Tokyo, les 17ème du nom, ont vécu.
Durant deux semaines, les athlètes du monde entier ont défié la pesanteur et les limites du corps humain, poussant ses performances jusqu’à des limites insoupçonnées, et nous gratifiant des plus beaux spectacles que l’homme puisse encore réaliser sans l’aide du truquage.
Du plaisir, on en a eu. Des surprises, aussi avec une cascade de chutes des meilleurs favoris. Il y a d’abord eu l’élimination de la tenniswoman japonaise sur son terrain, chez elle. Il y a eu la chute, au propre et au figuré, du judoka français le géant Teddy Riner. Il y a eu le forfait de la gymnaste américaine Simone Biles qui a privé le monde de ses vols de papillon. Et il y a eu surtout la défaite de l’athlète numéro 1 du monde, le tennisman serbe Novak Djokovic venu croyait-il accomplir une formalité avant de remporter sa médaille d’or. Un allemand avec un nom qui sonne russe lui a barré la route. Il s’appelle Alexander Zverev.
Morale de l’histoire: en matière d’œuvre humaine rien n’est écrit d’avance. Heureusement d’ailleurs car aucun progrès ne se serait sinon réalisé.
À part ça, rien de nouveau. Les États-Unis sont les premiers avec 39 médailles d’or, suivis, mais cette fois-ci de vraiment très près par la Chine qui a gagné 38 médailles.
La Chine arrive, qui peut l’arrêter?
Il y a eu ensuite les petits États du Golfe arabe. De simples spectateurs il y a quelques années, ils sont montés cette fois sur les podiums pour récolter de nombreuses médailles. Qatar, Bahreïn, Emirats, Koweït, les enfants du pétrodollar se rebiffent et ne veulent plus d’une participation de carnaval dont se contentaient les pères. Ils sont là, ils ont les moyens et ils veulent en tirer le meilleur profit.
La Tunisie s’est classée 58ème pays avec deux médailles l’une d’or, l’autre d’argent.
Mais plus que les médailles ou le classement somme toute honorable, c’est le visage de ce jeune homme, le corps tout en muscles et le sourire enfantin qui restera gravé dans notre mémoire nationale comme une promesse d’avenir. Ahmed Ayoub Hafnaoui survole de sa grande classe la compétition reine des 400 m nage libre et offrira à la Tunisie une médaille d’or.
La veille, son compatriote Khalil Jendoubi avait fait prendre à son pays un rendez avec l’histoire en remportant la médaille d’argent en taekwondo. Ahmed a 19 ans, khalil 18. Une nouvelle jeunesse, de nouveaux défis.
Petit rappel historique pour le plaisir. C’est dans cette même Tokyo, lors des Jeux de 1964 que notre premier champion olympique, Mohamed Gammoudi remporta sa première médaille d’argent. Gammoudi gagnera plus tard l’or à Mexico et sera sacré plusieurs fois champion de sa spécialité, la course de fond, dans nombreuses compétitions internationales civiles et militaires.
D’autres pays africains comme le Kenya ou l’Ethiopie ont eu pendant les mêmes années soixante leurs champions respectifs des courses de fond. Mais à la différence de nous, Kenyans et Éthiopiens ont investi et encadré jusqu’à créer une véritable culture autour de leur premiers champions olympiques, produisant sans cesse de véritables phénomènes qui dominent aujourd’hui les compétitions de la spécialité dans le monde. Nous avons, quant à nous, élevé très vite Gammoudi au rang d’un héros pour pouvoir l’oublier aussitôt.
Les Olympiades de Tokyo nous ont renvoyé l’image de ce qu’est la Tunisie: un pays qui vit une crise profonde, et pas seulement sur le plan économique ou sanitaire, un pays de fractures, un pays en mal d’unité. Un pays qui a oublié les vertus du collectif, de l’entraide et de la solidarité. Chacun pour son petit intérêt, chacun pour son groupe, chacun pour son parti, chacun pour sa gueule. Voilà sans doute ce qui explique qu’on est absent dans toutes les disciplines du sport collectif à commencer par le handball dans lequel on comptait, il n’y a très longtemps, parmi l’élite mondiale.
Bien sûr, il arrive que dans cette Tunisie où l’on se déchire à longueur de journée, que de belles surprises arrivent comme ces deux jeunes champions Ahmed et Khalil qui ont fait vibrer nos cœurs, comme le fit en son temps Gammoudi, comme l’a fait Mellouli.
À moins d’un miracle, on risque d’oublier ces merveilleuses perles aussi vite qu’on les a applaudis et sans rien construire de durable autour d’eux.