Son nom est devenu associé aux dramatiques télévisuelles. Il en est le garant de qualité. Il enchaîne les feuilletons et les séries en Tunisie comme dans de nombreux autres pays arabes, en Syrie, en Irak et même en Egypte où l’on est traditionnellement peu disposée à donner le vedettariat à d’autres qu’aux nationaux.
Il est intelligent, instinctif, charismatique, talentueux, et il crève l’écran.
Du haut de ses 60 ans, il trône sur la fiction télévisuelle et paraît à chaque nouvelle apparition plus jeune que lors de la précédente. Car il est évident que l’homme sait apprendre, évoluer et mûrir. Dans les arts du spectacle, la maturité est souvent synonyme de jeunesse renouvelée.
Fethi Heddaoui, puisque c’est de lui qu’il s’agit, aurait pu être un voyou parfait. Petit, il en avait l’air, la gouaille et le gabarit, toujours prêt à en découdre à coup de poing et était à la limite du décrochage scolaire. Le théâtre le sauvera. D’abord à l’école, au Lycée Ibn Charaf, sous la direction de l’artiste Hamadi Mezzi qui va lui faire découvrir les grands classiques. Au théâtre amateur, ensuite, où il fera ses armes sous la férule du regretté Habib Chébil.
Sa vocation confirmée, c’est tout naturellement qu’il intègre l’Institut supérieur des arts dramatiques et entame parallèlement sa carrière de comédien professionnel sous la double direction de Fadhel Jaziri et Fadhel Jaibi au sein du collectif du Nouveau théâtre. L’expérience sera décisive et lui ouvrira les portes du cinéma et surtout de la télévision qu’il marquera par chacune de ses participations et qui seront aussi les témoins de l’évolution du pays, de son histoire immédiate et de ses mœurs. « Ghada », « Gamret Sidi Mahrous », « Sayd Errim », « Naouret lihwa », « Nouba »…et bien entendu « Ouled Moufida » qui l’aura consacré monstre sacré de la fiction télévisuelle.
Nous l’avons rencontré et c’est sans surprise que notre entretien a commencé par l’évocation de ses débuts sur les planches : « le théâtre me manque, reconnaît-il, avant d’ajouter nostalgique : » pour un comédien le théâtre c’est la vraie vie et le reste n’est qu’accident ».
Notre théâtre aujourd’hui ? Il y a des expériences et quelques productions intéressantes, mais le théâtre on l’attend encore.
Mais qu’est-ce qui manque pour que ce théâtre tunisien tant attendu arrive enfin ?
Déjà que les autorités publiques assument leur rôle qui tient dans les trois fonctions,
à savoir : assurer l’infrastructure, former et apprécier. Il manquera cependant une chose essentielle et qui a été déterminante dans l’essor qu’a connu le théâtre pendant notamment les décennies 70 et 80 , à savoir ces débats intenses et fructueux autour des œuvres présentées. Je me rappelle encore comment on venait à ces rencontres avec les critiques et le public comme à un oral du bac, le cœur tambourinant et la peur au ventre. Il y avait les grands noms de la critique qui nous attendaient : Mohamed Moumen, Abdeljelil Messaoudi, Ahm ed El Orf.Mais on y apprenait beaucoup et développait notre esprit critique. Ce sont ces débats-là et ces confrontations entre producteurs, publics et critiques qui ont permis le développement d’une réflexion collective et l’émergence d’une conscience nationale de la place de la culture dans une société en développement et de la responsabilité du créateur artistique dans l’accompagnement des aspirations et des ambitions nationales. Ce sont à mon avis ces débats et ces échanges qui ont permis, grâce aux apports cumulés du théâtre scolaire, du théâtre universitaire et du théâtre amateur de faire naître de nombreux talents et éclore de nombreuses expériences qui ont été marquantes. On rappelle aussi la contribution des troupes régionales permanentes et amatrices dans la création d’une fructueuse émulation qui a déserté aujourd’hui la scène théâtrale et la scène culturelle en général.
Que faut-il pour faire renaître cette effervescence vertueuse ?
Une volonté politique.
On ne te voit plus au théâtre. La télévision que nous critiquions autrefois sans cesse et que l’on regardait avec un vrai mépris semble finalement t’avoir définitivement pris.
Il faut bien vivre(rire). Je reste un homme de théâtre, c’est au théâtre que je vis vraiment. J’ai eu la chance de connaître une véritable évolution dans mon expérience de comédien en jouant différents genres, dans différents registres et à différents niveaux local, national et mondial. J’ai été dirigé par de nombreux metteurs en scène aux expériences riches et reconnues. Tout cela me met, et sans fausse prétention, dans l’attente du bon texte, du bon metteur en scène, du bon projet.
Pour revenir à la télévision, je dois dire que j’ai tout de suite compris qu’il y avait une volonté politique derrière la flopée de feuilletons qui envahissait le petit écran dès le début des années 90. C’était le pouvoir de Ben Ali qui cherchait à s’installer et qui avait compris le pouvoir de la fiction télévisuelle facteur et comme vecteur de stabilisation politique. On avait alors et vite trouvé les moyens et créé les structures nécessaires pour qu’à peine un feuilleton se terminait, un autre commençait. Aujourd’hui que suis en plein dedans je peux mesurer l’impact de la fiction télévisuelle sur l’esprit des gens et je peux dire qu’on peut facilement par des feuilletons contribuer grandement à abêtir un peuple ou le rendre intelligent, l’asservir ou l’émanciper.
Il y a eu pourtant des productions qui n’obéissaient pas à ce diktat de la morale politique orientée ?
Je pense que le feuilleton « Ennas Hikaya » réalisé par Hamadi Arafa constitua un tournant significatif. Même s’il n’a pas eu un effet immédiat sur le fond des productions qui allaient suivre, ce feuilleton a poussé les gens du métier à s’améliorer techniquement et à se professionnaliser. Ce n’est pour rien que le producteur en était Baha Eddine Atya, un grand professionnel formé à la bonne école de l’ancienne société d’expansion et de production cinématographique, la fameuse SATPEC. Le problème est que la génération satpec qui était polyvalente ne s’était pas prolongée et n’a créé des émules. C’est d’ailleurs tout le drame de la culture tunisienne : on est tout le temps dans la brisure et chaque génération qui arrive cherche à oublier la précédente au lieu de construire sur son apport aussi maigre soit-il. Le paradoxe est que malgré une absence flagrante de professionnalisme on arrive à produire des choses plus ou moins valables et, en tous cas, qui plaisent. La majorité des séries et feuilletons que les Tunisiens ont pu voir sont réalisés sur des scénarios de trois feuilles écrites le plus souvent à la main. Or dans l’industrie de la fiction qu’elle soit cinématographique ou télévisuelle c’est le scénario qui est la base, le reste c’est du travail technique. Ce manque de professionnalisme nous met dans une situation d’improvisation continuelle.
Et pour que cette improvisation réussisse et que la mayonnaise prenne il faut faire appel à des professionnels comme toi, ce qui fait qu’on te voit dans tous les feuilletons.
Je travaille, moi(rire)…Sérieusement, je pense qu’il est temps d’organiser les métiers artistiques en essayant de répondre à cette question : qu’est-ce qu’on veut vraiment ? C’est la responsabilité des a de l’Etat. Déjà, on devrait travailler à mettre en place les structures de productions télévisuelles au niveau de la télévision nationale. On pourrait reconstruire sur la base de l’ancienne Unité de production qui donné les premiers vrais feuilletons tunisiens et mis ainsi fin à une hégémonie égyptienne qui avait duré 40 ans et introduit le foulard et la jallabia et gâté notre goût.
Je peux t’appeler monsieur l’ex-futur ministre de la culture ?
J’accepte ce titre pour son originalité. Tes lecteurs ont sans doute compris que tu fais allusion à la proposition de Habib Jemli de me nommer ministre dans le gouvernement d’Ennahdha d’après les élections de 2019. Je précise ici deux choses. La première est que je n’ai jamais rien demandé, même si je reste persuadé que j’aurais pu apporter quelque chose à l’organisation de la vie culturelle. La seconde est que je ne suis pas affilié à Ennahdha même s’il m’est arrivé des fois de rencontrer Rached Gannouchi que j’ai eu comme professeur de pensée islamique. J’ai eu aussi Mohamed Salah Hermassi, l’ancien membre du Conseil national du Parti Baath syrien, comme professeur d’histoire- géo, et qui m’avait reçu nombreuses fois chez lui à Damas, et je n’en suis pas plus baathiste, contrairement à ce que certains ont essayé de faire croire. Je suis un esprit libre. Cela étant, je ne suis pas dupe du but des uns et des autres qui veulent m’attirer dans leur giron, ni de leurs calculs politiques. Dans ce jeu-là de proximité avec les artistes, ce sont les politiques qui gagnent en crédibilité, pas les artistes
LE QUESTIONNAIRE DE PROUST
-Ton meilleur film ?
« Magic » de Richard Attenborough
-Le personnage de cinéma qui t’as le plus impressionné ?
Vito Corleone joué par Marlon Brando dans « Le Parrain » de COPPOLA
-Ton livre de chevet ?
En arabe : le receuil d’Al Moutanabbi, en français : l’Iliade de Homère
-Le personnage de théâtre que tu aimerais incarner ?
Le Roi Lear de Shakespeare
-Ta chanson préférée ?« Nadhra Min Inak » de Saleh El Mahdi chantée par Oulaya ou Adnène Chaouachi, indifféremment.
-Ton plat préféré ?« Mirmez ».
-Ta devise dans la vie ?Toujours soi-même ;
Bon à Savoir:
Fethi Haddaoui né le 9 décembre 19961 à Tunis, est un acteur, réalisateur, scénariste et producteur tunisien.
Acteur principal dans plusieurs pièces de théâtre, dont Arab et El Aouada, il est aussi une personnalité de la télévision grâce à sa participation à plusieurs feuilletons et séries, aussi bien en Tunisie qu’en Syrie, en Jordanie, au Maroc, en Turquie, aux Émirats arabes unis, au Liban, en Italie et en France. Au cinéma, il joue dans plusieurs films européens sous la direction de réalisateurs comme Franco Rossi, Serge Moati, Peter Kassovitz et Gianfranco Pannone
.Haddaoui remporte de nombreuses récompenses au cours de sa carrière, notamment celles de meilleur second rôle masculin pour ses rôles dans No Man’s Love et Noce d’été aux Journées cinématographiques de Carthage, de meilleure interprétation masculine au Festival international du film arabe d’Oran et de meilleur réalisateur au Festival des radios et télévisions arabes pour La Cité du savoir.