Le Ministère du transport (et de la logistique) a le sens de de l’humour et il ne se gêne pas d’en faire usage.
Voyez donc : ce Ministère vient d’appeler tous les agents du département sous sa tutelle à participer à la Journée mondiale sans voiture célébrée chaque année en ce jour, 22 septembre, « en prenant le transport public ». Il conseille aux entreprises publiques d’adhérer à son initiative en encourageant ses agents à utiliser ce mode de transport, et pousse la plaisanterie jusqu’à conseiller l’utilisation de la bicyclette(sic).
Car c’est bien là une plaisanterie. Vous appelez transport public ça, ces bus pourris et bringuebalants achetés en occasion ? Ces bus sales qui sentent le moisi quand ils ne sentent pas le mazout ? Ces bus qui n’arrivent jamais à l’heure et laissent attendre les usagers de longues heures dans le froid glacial ou sous un soleil de plomb ?
Non mais vous rigolez, vous appelez transport public ces métros où l’on a plus de chance d’être agressé dans l’une de leurs rames que dans les rues les plus mal famées de Tunis, et ces trains d’un autre âge qui partent et reviennent bondés sur des tracés qui remontent aux premières années du protectorat ?
S’il y avait un transport public en Tunisie, on le saurait. On ne serait pas obligé de prendre sa voiture personnelle pour allonger les bouchons, s’étouffer sur les routes et arriver en retard à son travail tous les jours que Dieu fait ?
S’il y avait un transport public pourquoi dépenserait-on autant pour avoir aujourd’hui plus de 2 millions et 400 mille véhicules personnels circulants, sans compter la centaine de mille de voitures administratives, sur un réseau routier vétuste et qui ne peut en fait s’élargir au tiers de ce chiffre ? Et pourquoi aurait-on autant d’accidents de la route causant une moyenne annuelle de 150 morts et 1 millier de blessés, et entraînant quelques 800 millions de dinars de dédommagements ? Et pourquoi enregistrerait-on une augmentation constante des maladies respiratoires chez les enfants ?
Le transport public est au cœur de tous les maux du pays et est la cause du dysfonctionnement de tous les secteurs de son développement.
A L’ORIGINE DE TOUS LES MAUX
Selon les estimations, le mauvais état du transport public-ou son absence-serait responsable de la baisse jusqu’à 30% de la productivité, de 15% de l’absentéisme, et de 20% des maladies physiques et mentales des citoyens vivant dans les agglomérations et les grandes villes.
Par sa mauvaise qualité ou par son absence, le transport public est également responsable de la cherté de la vie, notamment celle du logement, puisque ne pouvant disposer de moyens de mobilité rapides, propres et à la portée de leur bourse, les gens se retrouvent dans l’obligation de chercher des habitations proches de leur lieu de travail, ce qui a pour conséquences de faire flamber les prix et de causer la congestion des grandes villes. Tunis, Sfax, Sousse, Gabès, Bizerte…, c’est aujourd’hui la galère pour y circuler en journée. Et ça va de mal en pis.
En fait, et en 65 ans d’indépendance notre pays n’a jamais réellement développé une vraie politique de transport public. La création tardive en fin de l’année 1985, soit plus de 30 ans après l’Indépendance du ministère du transport le prouve. Surpris par le mouvement effréné de l’exode rural des années 70 du siècle dernier, qui se manifestait sous forme d’immenses bidonvilles à quelques kilomètres des centres villes, l’Etat a essayé d’agir en bricolant de petites politiques pour assurer la mobilité d’une population sans cesse grandissante. Le bus bleu repeint au début des années 80 en jaune, va tant bien que mal, et plutôt mal que bien, répondre au besoin des populations de se transporter de et vers leur lieu de travail dans des conditions souvent pénibles. Entassés les uns sur les autres, ils sont souvent à la merci des chauffeurs qui décident de l’horaire du départ et de l’arrivée.
VOITURE POPULAIRE CONTRE LE PEUPLE
L’importation massive de petites voitures dites populaires dès le début des années 90, si elle a donné l’illusion de soulager l’Etat en diminuant la pression sur le transport public, n’a fait en réalité qu’exacerber les problèmes de circulation en encombrant les routes, congestionnant les villes, augmentant la consommation d’énergie, aggravant la pollution de l’air et, surtout, retardant la mise en place d’une véritable politique de transport public.
Alors que le monde développé va dans une décennie mettre à la casse les véhicules roulant à l’énergie fossile pour ne laisser place qu’aux véhicules électriques, nous continuons d’amasser les voitures, étouffant nos villes et s’étouffant nous-mêmes.
Alors, célébrer la journée mondiale sans voiture en Tunisie ?
Soyons sérieux. Qu’a-t-on fait pour y parvenir ? Combien de lignes nouvelles de métro avons-nous construites? Quels pistes cyclables avons-nous aménagés dans nos villes pour encourager une mobilité en vélo ? Le transport urbain et suburbain en bus, on n’ose même pas l’évoquer vu l’état des bus qui administre la preuve à qui veut encore douter, que les choses n’ont pas changé depuis 50 ans, sinon en pis. Quant au transport privé il serait tout simplement inutile d’en parler, et il n’y a qu’à voir ces taxis qui n’ont pas de stations et qui roulent tombeau ouvert sous l’œil de l’agent de police, ou ce péril jaune sur route appelé transport rural, pour comprendre. Mais une chose est sûre : ce sont toujours les pauvres citoyens qui trinquent.
Vous avez dit transport public ?