Aucun parmi ceux qui s’intéressent, peu ou prou, à la vie politique nationale, et encore moins s’il en suit les événements depuis les dernières élections de 2019, n’a été surpris par l’accueil aussi défavorable et hostile réservé, sur ses terres béjaoises d’origine, à la présidente du Parti destourien libre(PDL) Abir Moussi. Tout le monde savait que ça allait arriver, sauf l’intéressée elle-même qui a semblé dans la vidéo qu’elle a postée, découvrir en direct le pot aux roses. En accusant Kais Saied d’être derrière la réception inhospitalière et franchement agressive et menaçante que lui ont réservé les citoyens de Medjez El Bab, Abir Moussi a enfin dit tout haut ce qu’elle murmurait à voix basse depuis quelques jours.
C’était pourtant clair, évident presque, que la confrontation entre le Président de la république et la Présidente du PDL était inéluctable, et que pour l’un comme pour l’autre, le tacite accord pour livrer bataille commune mais chacun de leur côté, contre Ennahdha de Rached Ghannouchi, n’était que provisoire et devait vite prendre fin. Ce n’était qu’une question de temps et voilà que le moment est arrivé.
DES SIGNAUX ÉVIDENTS
Kais Saied n’a pas attendu le déplacement de la présidente du PDL dans la région de Béja pour ouvrir les hostilités. Depuis son accession au fauteuil de Carthage il n’a cessé, par le verbe comme par l’acte, de tirer des coups de semonce et de lancer des signaux d’alerte en direction des partis politiques dont on sait l’aversion qui lui inspirent, et notamment ceux représentants « l’ancien système », qu’il n’hésite pas de qualifier de corrompus.
Un premier grand signal est donné à la fin du mois de septembre 2020, lorsque le Président Saied a vertement tancé le Chef du gouvernement Hichem Mechichi pour avoir proposé la nomination de Mongi Safra et Taoufik Baccar, grands cadres de l’ancien système, comme conseillers à la Kasbah, l’obligeant à annuler cette nomination.
Il était clair que Kais Said n’aimait pas les partis politiques représentés à l’Assemblée des représentants du peuple et ne ratait aucune occasion de les faire apparaître aux yeux du peuple comme responsables de la dégradation de la situation économique et sociale du pays et du ternissement de l’image de ses institutions. Le parti de Abir Moussi ne pouvant évidemment faire l’exception malgré les efforts déployés par ses partisans pour faire admettre au Président Saied, chiffres des sondages à l’appui, la prééminence du PDL dans le paysage politique, affirmant que sans le « militantisme » de leur présidente au Parlement, l’action du 25 juillet n’aurait pas été possible. Mais Saied ne semble pas l’entendre de cette oreille et, moins d’une semaine après l’annonce des mesures exceptionnelles, une manifestation en voitures du PDL est arrêtée en chemin. Deux semaines après, soit le 26 août, Abir Moussi annonçait que dix députés de son bloc parlementaire et elle-même, faisaient l’objet d’une convocation à comparaître devant la deuxième brigade d’investigation relevant de la garde nationale à Laouina. Cette fois il ne faisait aucun doute : le PDL ne constituait pas l’exception aux yeux du Président Saied, bien au contraire.
PAS DEUX PLACES POUR DEUX POPULISMES
Mais le signal le plus évident aura lieu le 22 septembre à Sidi Bouzid lorsque dans son discours il annonça revenir au 17 décembre comme jour de déclenchement effectif de la Révolution, ce qui signifiait un retour aux objectifs initiaux de la Révolution et, conséquemment, le rejet du système partisan actuel responsable de l’échec étalé sur la décennie. Le PDL est de ce fait doublement responsable puisqu’étant la résurrection du RCD, il assume les fautes passées et présentes.
Un autre facteur de poids poussait également vers ce clash, à savoir leur appartenance à la même orientation populiste utilisant l’un et l’autre un discours qui cherche davantage à susciter l’émotion et la victimisation que de faire appel à la raison politique. Avec les yeux rivés sur la courbe des sondages, les programmes économiques et sociaux ne sont pas la priorité des deux leaders, mais ce qui compte surtout, c’est la promesse de rétablir les valeurs perdues du patriotisme pour Moussi, et pour Saied de rompre avec les pratiques du passé, de combattre la corruption, et de rendre le pouvoir au peuple. Cette approche politique populiste nécessite un chef charismatique et autoritaire. Or il n’y a pas deux places dans un seul pays pour deux chefs chassant sur le même terrain. Pour le prouver d’ailleurs, le Président a choisi pour diriger son gouvernement d’après le 25juillet une femme qui est, tant sur plan physique que du caractère, tout le contraire de Abir Moussi. La confrontation était inévitable, elle a éclaté à Béja.
Mais quelles que soient les raisons ayant poussé à cette confrontation, l’épisode de Medjez El Bab demeure un incident dont la gravité ne peut être passée sous silence, mais devrait constituer un sujet de préoccupation pour tous ceux qui croient en les valeurs démocratiques et notamment le libre droit à l’appartenance et l’exercice politique. Même si certains pourraient dire-et ils l’ont déjà dit-que la Présidente du PDL a récolté à Béja ce qu’elle avait semé au Bardo, rien cependant ne saurait expliquer, et encore moins justifier, qu’elle soit soumise à un tel traitement, qui plus est dans le pays de ses origines.
On peut ne pas adhérer à son approche et son exercice de la chose politique, et la trouver par trop excessive. Mais la désigner de la sorte à la vindicte d’une population est inacceptable politiquement aussi bien que moralement. Car si elle ne manque pas de courage ou de caractère, c’est, in fine, une femme et une mère. La politique n’a-t-elle pas pour ultime objectif de nous rendre plus humains ?