« maudit soit le courage qui finit par l’humiliation! »
Notre souhait est d’éviter aujourd’hui que ce dicton tunisien ne se vérifie dans la réalité.
Hier, jeudi 14 octobre, le premier conseil des ministres du gouvernement Bouden a eu lieu sous la présidence de Kais Saied. Dans ce qui nous été retransmis, le Président a été la vedette de ce conseil, passant à l’as toutes les questions pourtant essentielles quant à l’avenir du pays, inscrites à l’ordre du jour. D’emblée, le Président a fait montre d’un courage « exceptionnel ». Il a d’abord dénoncé tous les « traîtres qui se frottent au seuil des ambassades », décidant en réaction de leur retirer leur passeport diplomatique et d’ouvrir une enquête à leur encontre.
Mais son plus grand acte de bravoure, il l’a réservé aux Etats-Unis d’Amérique reprochant au Congrès américain la séance plénière consacrée à l’examen de la situation politique tunisienne. En rappelant à l’occasion, charte de l’ONU à l’appui, que l’Etat tunisien est juridiquement l’égal de la première puissance mondiale.
Ce discours n’est pas sans nous rappeler celui d’un autre leader arabe aujourd’hui disparu, et qui avait fait vivre à son pays une confrontation interminable avec les grandes puissances et à leur tête les Etats-Unis, causant ainsi à son pays l’isolement et le sous-développement, et pour finir, la guerre civile qui n’est pas près de se terminer. A voir Kais Saied, et à entendre son discours, on croirait revoir cet ancien leader: même mise en scène, même agressivité, même rhétorique vindicative, même punchline qui vous reste en tête pour en rire ou pour en pleurer.
Et déjà, les conséquences sont là, visibles et palpables. En moins de 24h, nous avons perdu à la fois la tenue du Sommet de la francophonie en sa date impartie, nous avons été exclus de l’Assemblée parlementaire de la francophonie, nous avons été rétrogradés par l’agence de notation Mooody’s, nous avons été sérieusement rappelés à l’ordre par le FMI, et bouquet final, nous avons été le sujet de débat et d’inquiétude pour le Congrès américain. Tout cela concourt, indubitablement, à annoncer notre isolement sur la scène internationale, l’aggravation de notre crise économique et sociale, et notre basculement dans la misère et l’arrièrisme.
Certes, le discours tonitruant et revanchard du Président Saied, légitime dans ses principes, flatte notre patriotisme, mais il nous fait perdre dans le même temps le sens de la réalité. La réalité est que nous n’avons ni pétrole, ni gaz, ni un vaste territoire, ni une forte population; et nous sommes encore un pays en développement. Et c’est là toute la différence avec nos voisins de l’Est aussi bien que de l’Ouest. Nos traditions, par ailleurs, notre culture, notre Histoire nous enseignent que nous avons toujours su garder le sens de la mesure, de la pondération et du réalisme politique. Le réalisme politique n’est ni une faiblesse, ni un défaitisme. C’est tout simplement la conscience que ce monde est gouverné par des puissances et que ces puissances sont implacablement guidées par des interêts profonds entretenus par des relations internationales concurrentielles voire guerrières. On a beau dire, crier à l’injustice, protester, pester…,le monde est comme ça.
C’est ce même réalisme politique qui fit dire un jour de l’an 1974 à Bourguiba s’adressant à l’impétueux Khadhafi qui voulait s’attaquer à l’Amérique: » fais attention, tu pourrais recevoir une gifle! ». Mais le jeune colonel continua à lancer ses défis à l’égard de la première puissance mondiale en haranguant son peuple d’un « Toz fi amerika » (m**** à l’Amérique). La suite on la connait.