Si la finalité de toute politique, du moins telle qu’elle nous a été enseignée, est d’assurer les trois objectifs qui constituent les piliers sur lesquels repose toute société humaine évoluée, et qui sont la sécurité, l’harmonie et la prospérité, force est de constater que l’on en est bien loin aujourd’hui en Tunisie. C’est même le contraire de ce ces objectifs qui prévaut
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Prenant d’abord la sécurité, condition sine qua non de tout vivre-ensemble. On la voit, mais on la sent de moins en moins. Car la sécurité est fondamentalement un sentiment avant d’être une réalité sur le terrain. Or que constate-t-on? Que les mesures exceptionnelles prises le 25 juillet et qui étaient censées distiller un sentiment de sécurité parmi le peuple sur la base de la dénonciation des pratiques de la corruption et l’amorce d’une lutte véritable et efficiente contre ce fléau, semblent démontrer leur limites. Les premiers scandales de corruption passés, on retombe dans un forme de chasse à la sorcière avec ce que cela implique comme procès, arrestations, lynchages médiatiques. Et au final, la peur irrationnelle que cela pourrait arriver à n’importe qui et qui, comme dans Le Procès de Kafka, fait de chacun de nous un suspect en liberté provisoire.
L’harmonie? C’est de créer les conditions permettant à toutes les composantes de la société de vivre dans le respect des choix des unes et les autres et se sentir complémentaires. La société tunisienne qui rompait, au lendemain de l’Indépendance du pays, par le pouvoir de l’éducation publique, d’avec le tribalisme, retombe actuellement dans un système politique aussi vague qu’inintelligible. La mise à l’écart des partis politiques et des principales organisations nationales du processus de réflexion sur un projet alternatif à celui suspendu le 25 juillet, et que tout le monde appelle de ses voeux, a mené à l’émergence d’un climat malsain marqué par une tendance affirmée à la division, aux querelles et à la violence. Le discours opposant « intègres propres » aux « corrompus voleurs » a imprégné les esprits d’idées de vengeance et de reglement de compte qui encouragent au passage à l’acte pour sonner le début du chaos. À cela s’ajoute bien sûr la suspicion, voire la dévalorisation du pouvoir judiciaire devant être, comme tout un chacun sait, respecté et libre pur accomplir sa fonction de fondement au processus démocratique.
Point n’est besoin après ce qui vient d’être dit d’évoquer la question de la prospérité car elle est simplement inenvisageable dans de telles conditions. En 2011 la Tunisie avait une image à faire valoir, celui du petit pays arabe et musulman dont le peuple avait fait le choix que l’on avait toujours cru impossible, de la démocratie. C’était auparavant, et même en absence d’une vraie liberté, un pays « viable et agréablement vivable » comme se plaisait à le répéter, non sans raison, l’information officielle.
C’est une Tunisie aujourd’hui pauvre, apeurée et qui fait peur, en proie à la colère, à la division et à la haine. Le Président Saied doit y réfléchir, 100 jours après son coup de force du 25 juillet, et doit surtout nous dire où il va et où il compte nous amener. Tant qu’il a encore le temps.