A la veille de l’ouverture du Forum sur la coopération entre la Chine et l’Afrique à Dakar, Pékin avait publié un livre blanc promettant une « nouvelle ère » basée sur « la sincérité, les résultats réels, l’amitié et la bonne foi ». Une manière de reconnaître par avance que le ciel n’était pas tout bleu et pur. Le président sénégalais Macky Sall soulignait que « c’est dans la difficulté que l’amitié trouve soin test des grandeur », remerciait la Chine pour « son appui constant à nos efforts de riposte sanitaire et de relance économique » mais disait également que notre coopération avance de manière pragmatique et efficace ». Plus directs que le Sénégalais, d’autres chefs d’Etat allaient plus loin sur la voie du « pragmatisme » et parlaient de « rectifier », d’ « équilibrer » et de « respect dû » à l’Afrique.
On a l’impression que depuis le premier FOCAC, en 2000, la Chine déverse des milliards sur l’Afrique, construit, ouvre des routes, des voies de chemins de fer contribuant largement au développement du continent. Vrai et faux. Les échanges ont certes été multipliés par vingt faisant passer Pékin au rang de premier partenaire commercial, premier constructeur et premier bailleur bilatéral pour de nombreux pays. Si les pays africains sont les premiers récipiendaires de l’aide publique au développement chinois (42% du total), autant que celle de l’ensemble des pays développés, il y a relativement peu d’investissements directs mais beaucoup de prêts aux conditions souvent léonines pour des projets opaques, mal étudiés, sans souci environnemental, difficiles à rembourser. Certains vont même jusqu’à employer le terme de prédation.
La dette africaine à l’égard de la Chine n’est pas colossale, moins importante que celle due au FMI et à la Banque mondiale, mais ce sont les conditions des prêts qui posent problème. Entre 2000 et 2018, 50 des 54 pays africains ont emprunté à l’Afrique et se sont largement endettés sans que le développement soit au rendez-vous. Et il faut rembourser. Même si la reprise par la Chine de l’aéroport ougandais d’Entebbe est une fake news, des contrats prévoient de telles clauses en cas de non remboursement. Contrats aussi très favorables pour les entreprises chinoises qui s’installent en Afrique, comme l’exonération d’imposition, le rapatriement des bénéfices (…) qui pénalisent les entrepreneurs locaux. Le livre blanc avançait le chiffre de 3 500 entreprises chinoises sur le continent avec 80% d’employés locaux et la création de millions d’emplois. Peut-être, mais des sources africaines soulignent que les locaux occupent des postes non qualifiés sans perspective de s’élever dans la hiérarchie. Au Nigeria, on n’a pas hésité à parler de maltraitance, de conditions de travail déplorables. Des manifestations antichinoises ont eu lieu dans ce pays comme au Kenya, en Zambie, à Madagascar, au Gabon et en République démocratique du Congo. Pékin vient d’appeler ses ressortissants à quitter ce dernier pays. Entre 2015 et 2017, Pékin avait relevé 350 actes antichinois et envoyé sur place ses propres sociétés de sécurité. L’Ouganda a dressé une liste de 148 entreprises accusées de fraude fiscale, 90 avaient un patron chinois ; au Kenya, en 2019, les entreprises chinoises ont été accusées de pratiques commerciales contraires à la loi ; Eswatini a mis quatre ans pour négocier une clause commerciale en raison des exigences chinoises. Un expert fiscal du Lesotho résume : les prêts ont beau être plus avantageux et faciles à obtenir qu’auprès d’autres pays, leur remboursement revient nettement plus cher dans la mesure où l’argent ne circule que partiellement dans le circuit économique du pays bénéficiaire et où il n’est pas soumis à l’impôt.
Soft power
Les opinions publiques se montrent de plus en plus critiques. Afrobaromètre -30 pays- indique une baisse moyenne de 3% du sentiment positif envers la Chine, moins 21% au Gabon. Mais plus 45% au Maroc, un effet sans doute lié à la visite du roi à Pékin en mai 2016 avec la signature d’une quinzaine d’accords
La Chine, depuis une cinquantaine d’années, aime offrir des stades, des équipements sportifs pour montrer sa bienveillance aux populations. Économiquement, l’Afrique n’a pas une grande importance pour elle -3% de son commerce, même pourcentage qu’avec le reste du monde-, mais son interventionnisme sur le continent lui donne ce soft power qui lui a permis d’imposer son candidat à la tête l’OMS et de prendre la direction de quatre agences des Nations unies : la FAO, l’OACI, l’ONUDI et l’UIT. Pour Pékin, l’Afrique est un moyen, un jalon sur les nouvelles routes de la soie, pas un but. Ce but reste l’Europe.
La déclaration finale du FOCAC dit que dans un esprit de coopération « gagnant-gagnant », responsables africains et chinois renforceront la coopération dans les domaines « de la santé publique, de l’investissement, du commerce, de l’industrialisation, des infrastructures, de l’agriculture et la sécurité alimentaire, le changement climatique, la paix et la sécurité ». « La Chine s’abstient de s’ingérer dans la recherche par les pays africains d’une voie de développement adaptée à leurs conditions nationales, de s’immiscer dans leurs affaires intérieures, d’imposer sa volonté à l’Afrique », dit encore le texte. Il prône « le règlement des questions africaines par des solutions africaines ». En retour, l’’Afrique réaffirme son attachement « au principe d’une seule Chine ». Aucun chiffre consolidé de financement, seulement une promesse de 10 milliards d’investissements privés, de 300 milliards d’importation africains d’ici à trois ans et d’annulation de dettes pour les pays les plus pauvres et un milliard de vaccins dont 400 millions fabriqués en Afrique. Une Chine plus prudente face aux revendications africaines. Davantage de rigueur des deux côtés, estime un conseiller du président de Guinée équatoriale.
La riposte européenne
Comme la Russie, la Chine met en avant le fait qu’elle n’est pas une puissance coloniale contrairement à la France, à d’autres Européens qui ont toujours leurs réflexes anciens. Un atout non négligeable au moment où le djihadisme fait peur, où le sentiment anti français monte au Mali, au Niger, au Burkina… Le président sénégalais a d’ailleurs demandé l’aide chinoise au Sahel.
Pour contrer l’influence chinoise, l’Europe a dégainé ce mercredi 1er décembre son Glogal Gateway qui prévoit d’investir 300 milliards d’euros (de l’Union européenne, des vingt-sept États et du privé) autour de la planète, jusqu’en 2027, dans des infrastructures visant à assurer prospérité et stabilité. Plus que Pékin qui depuis 2013 a investi 125 milliards d’euros dans 138 pays pour « la ceinture et la route. Bruxelles rappelle que les 27 membres de l’UE sont le principal partenaire commercial de l’Afrique ( (235 milliards d’euros en 2018, contre 125 milliards) et la président de la Commission, Ursula von der Leyen expliquait en septembre que « cela n’a pas de sens que l’Europe construise une route parfaite entre une mine de cuivre sous propriété chinoise et un port également sous propriété chinoise. Nous devons nous montrer intelligents ». La commissaire aux partenariats internationaux, Jutta Urpilainen promet des « partenariats d’égal à égal » et Ursula von der Leyen des projets « respectueux des valeurs démocratiques » et des « normes sociales et environnementales les plus élevées ». Pour l’Europe, pour les députés européens, il s’agit de tourner la page de l’aide au développement pour passer à partenariat entre partenaires et créer des emplois durables.
Chine-Europe, un match gagné demain par l’Afrique ?