L’Europe ne savait plus ce qu’était la guerre et les quelques conflits récents, comme le Kosovo, ne l’avaient pas vraiment inquiété car ils ne risquaient pas de s’étendre. Aujourd’hui, l’inquiétude est palpable et, dans tous les médias, sur tous les plateaux de télévision, la question revient : jusqu’où ira Poutine ? La réponse la plus entendue est « jusqu’au bout », exprimée avec cette possibilité redoutée de l’utilisation des armes nucléaires.
A plusieurs reprises, le président russe, de plus en plus qualifié de dictateur, a été très clair : « Quiconque tentera de nous entraver, a fortiori de créer une menace pour notre pays et pour notre peuple, doit savoir que la réponse de la Russie sera immédiate et entraînera des conséquences telles que vous n’en avez jamais connues dans votre histoire. Nous sommes préparés à toute évolution de la situation. Toutes les décisions en ce sens ont déjà été prises. J’espère que je serai entendu». Et l’on peut relire ou réécouter Poutine et ses proches : la menace nucléaire est évoquée depuis plusieurs années ainsi que son résultat : la Russie gagnera. Elle souffrira, mais les Etats-Unis et des pays d’Europe seront détruits. L’Occident réplique qu’il possède aussi des armes nucléaires et persiste à penser que dans le cas de l’Ukraine, on n’en arrivera pas là. A moins que le tsar du Kremlin attaque les Pays baltes ou d’autres membres de l’Otan. Tout pourrait alors arriver et Poutine pourrait lancer ses Satan 2, missiles capables de porter douze têtes nucléaires, pratiquement indécelables, inarrêtables selon Moscou et capables de rayer de la carte un pays grand comme la France.
La « bombe nucléaire » était considérée jusqu’à présent comme une « assurance vie » qui préserverait de l’apocalypse. Vladimir Poutine met à mal cette certitude. Et là aussi, cela fait des années qu’il répète que le recours à l’arme nucléaire est possible s’il estime que la sécurité de la Russie est menacée. Il y a deux jours, l’ancien président Medvedev -élu entre deux mandats de Poutine et en poste en 2014 lors de la guerre en Géorgie- affirmait que la Russie n’a plus besoin de liens diplomatiques avec l’Occident ». La coupure est réelle et, encore une fois, on peut revenir en arrière comme le fait l’historienne et soviétologue Françoise Thom qui rappelle que « dès 2015, le politologue Alexandre Bogdanov écrivait : « La solution finale d’un conflit civilisationnel [entre la Russie et l’Occident] ne peut être que l’anéantissement de l’une des parties […] Notre but est donc d’anéantir l’Occident sous sa forme civilisationnelle actuelle. » Ces mêmes propagandistes estiment qu’Hiroshima « est devenue bien mieux qu’avant le bombardement atomique ».
Jusqu’au bout
Vladimir Poutine ira donc jusqu’au bout sans que l’on sache précisément quel sera ce bout. L’Ukraine ou la Transnistrie puis les Pays baltes ? Certains experts suggèrent que ce bout est le début de la fin du maître du Kremlin. S’il est toujours suivi par une majorité de la population, ils estiment avec Tatiana Stanovaya, éminente analyste de la politique russe, que « Poutine surestime profondément le niveau de soutien que la population russe lui apportera ». Des manifestations ont eu lieu dans plusieurs villes avec plus de 1 800 arrestations, environ 2000 artistes lui ont adressé une lettre ouverte contre la guerre, des médecins et infirmières ont fait de même. Les tennismen Rublev et Medvedev se sont prononcés pour la paix. Deux députés qui avaient voté en faveur de l’invasion, la dénoncent maintenant. Les médias n’ont pas le droit de parler d’invasion. Et l’on a vu Poutine forcer le chef des renseignements extérieurs Sergueï Narychkine qui hésitait à approuver la reconnaissance de l’indépendance des provinces séparatistes du Donbass. Le premier ministre Mikhaïl Michoustine n’était pas chaud non plus.
Mais ce début de la fin était déjà évoqué quand Poutine a récupéré la présidence en mars 2012. The Economist et le New York Times insistaient sur le mécontentement provoqué par l’enrichissement des oligarques avec l’aide du Kremlin. L’hebdomadaire britannique écrivait que « ce soit une bonne ou une mauvaise fin dépend » de Poutine et la Géorgie étaient deux ans plus tard considérés également comme le début de la fin…
L’opposition intérieure pas plus que les sanctions inédites mais moins pénalisantes qu’annoncé ne feront pas reculer Vladimir Poutine qui ne supporte pas l’échec et ne se soucie guère du pouvoir d’achat des Russes qui va encore baisser du fait de la chute du rouble. Toutefois il vient d’en subir un échec : son plan était de prendre rapidement Kiev et de se débarrasser de Volodymyr Zelensky. Sa guerre éclair s’est heurtée à une résistance ukrainienne qu’il n’avait pas prévue, au sang-froid et au courage insoupçonnés du président. Il a donc « élargi » la guerre mais, à moins de la rendre totale et extrêmement meurtrière, sa victoire inéluctable sera plus longue à se dessiner. Et la grogne pourrait monter en Russie.
Un espoir se fait jour : que Poutine, face à la résistance ukrainienne et à l’unité qui l’a surpris des Européens et de l’Otan se résolve finalement à négocier. Pas seulement le sort de l’Ukraine mais surtout le nouvel ordre de sécurité en Europe. C’est l’un de ses buts.