Joe Biden, en s’installant à la Maison Blanche, était dans la continuité de ses prédécesseurs Obama et Trump : il avait le regard dirigé vers la Chine, la région indo-pacifique, le plus grand défi des années à venir. Un nouvel équilibre du monde qui reléguait la Russie et surtout l’Europe à l’arrière-plan même s’il voulait maintenir l’Otan et retrouver de meilleures relations avec ses alliés de l’ancien monde.
Vladimir Poutine a fait tomber cet échafaudage en envahissant l’Ukraine et en menaçant d’utiliser l’arme nucléaire. Un monde où la force brutale prime. Une bascule du monde d’autant que se dessinait un axe Moscou-Pékin pour forger un nouvel ordre international. La fin des Etats-Unis number one au monde… Joe Biden s’est montré offensif et assez habile en se tenant résolument aux côtés de l’Ukraine et en jouant, en favorisant une unité, une union inédite des 27 de l’Europe. Ses services de renseignement, totalement défaillants en Afghanistan, ne se sont pas trompés sur les préparatifs et buts russes alors que les Européens étaient davantage circonspects. Il a alerté très vite mais s’est montré plus que prudent, laissant en fait la voie libre à Poutine en affirmant qu’il refusait tout engagement militaire. Aider l’Ukraine, prendre des sanctions contre la Russie, mais ne rien faire qui pourrait laisser croire que les Etats-Unis et l’Otan pouvaient entrer dans la guerre. Pas question d’envoyer des drones au-dessus de l’Ukraine pour observer l’avancée russe et les frappes. Pas question d’accepter les Mig polonais pour les livrer à l’Ukraine. Moscou a prévenu que ce serait considéré comme un acte de guerre… Et, il y a quelques heures, Joe Biden a dit sa conviction qu’une confrontation directe entre l’Otan et la Russie provoquerait « la troisième guerre mondiale ». Peut-on reprocher à un Etat de tenir à la paix, de ne pas risquer un conflit nucléaire ? D’ailleurs, les forces américaines en Europe et les armées européennes n’étaient pas, ne sont pas prêtes, à affronter les armées de Poutine. Mais c’est un autre problème auquel les Européens commencent à réfléchir…
Prudent et en même temps offensif sur les sanctions, Washington ne prend cependant pas de risques en n’important plus de pétrole russe. Il n’en a pas besoin – 5% de sa consommation- et peut même en tirer profit en proposant le sien et son gaz de schiste aux Européens qui le souhaitent. Toutefois, en raison de la formidable hausse des cours, commencée avec la reprise économique post covid – nette baisse aujourd’hui- et de cette bascule mondiale, les Etats-Unis font les yeux doux au Venezuela de Maduro qu’il détruisait systématiquement. Au nom du pétrole, une délégation américaine était à Caracas le week-end denier pour trouver des arrangements propres à ramener le pays chaviste dans l’orbite américaine et à le couper de son amis russe qui n’aurait plus les moyens de l’aider. Washington entend aussi renouer les liens distendus avec l’Arabie Saoudite et les Emirats arabes unis bien décidés à vendre chèrement leur soutien. Ryad exige notamment une immunité totale pour le prince Mohamed Ben Salmane et une aide plus large face aux Houthis du Yémen. L’homme fort des Emirats, Mohamed bin Zayed Al Nahyan, a même refusé de prendre Joe Biden au téléphone pour bien montrer sa colère face à l’indifférence américaine concernant les attaques des rebelles yéménites. Les Emirats auraient fini par accepter de demander à l’Opep+ -dont la Russie est membre- d’augmenter la production…
L’Amérique pousse aussi à un accord rapide avec l’Iran qui permettrait au pays des mollahs d’alimenter le marché mondial et de faire baisser les prix. Là aussi, les concessions seraient majeures et Moscou fait tout pour freiner. Dans cette volonté de mettre la Russie au ban du monde, les Etats-Unis revoient leurs priorités. Rien de gagné car, si l’on observe bien, la Russie n’est pas encore totalement isolée. Toujours est-il que Poutine, qui ne s’y attendait sans doute pas, a provoqué un séisme géopolitique dont les conséquences ne sont pas encore connues. La Chine peut arbitrer…