La justice a été clémente, pour l’instant, envers la journaliste Marina Ovsyannikova en ne lui infligeant qu’une amende pour avoir brandi une pancarte dénonçant la guerre et les mensonges. Les négociateurs russes proposent la paix à une Ukraine qui adopterait un modèle de «neutralité suédois ou autrichien» -Kiev refuse. Pas de rapport évident entre ces deux faits. Et pourtant, ils peuvent apparaître liés si l’on considère que les Russes commenceraient à comprendre que cette invasion de l’Ukraine n’est voulue que par un homme qui décide seul et force son entourage à le suivre aveuglément.
Une nouvelle fois, Vladimir Poutine a répété que « l’opération se déroule avec succès, en stricte conformité avec les plans préétablis » mais si l’on regarde attentivement ce qui se passe sur le terrain -l’enlisement- et surtout au sein de la société russe, on a des raisons de croire que le maître du Kremlin est en difficulté et qu’il commencerait à chercher des portes de sortie. Certes, il reste brutal, fanfaron et imprévisible. Serait-il enfin conscient qu’il est dans une impasse comme le prétend Volodymyr Zelinsky ? S’il ouvre les yeux, il peut voir une autre réalité que celle qu’il décrit. Il l’a reconnu implicitement en prenant des mesures de soutien aux citoyens et aux entreprises. Il semble certain – il faut toujours rester prudent- que son Conseil de sécurité, censé le conseiller, était majoritairement contre la guerre. Le Premier ministre Mikhaïl Michoustine n’en revenait pas, la patronne de la banque centrale pressentait les problèmes économiques. Si la plupart des oligarques se taisaient, c’est bien parce qu’ils doivent leur fortune à Poutine qui en prélèverait une partie.
Le président russe a bien bouclé l’information et menacé les journalistes mais les manifestations sont quotidiennes. Elles ont lieu dans une centaine de villes et 15 000 personnes ont déjà été arrêtées. 17 000 artistes et personnalités du monde culturel, 2 000 acteurs et réalisateurs, 5 000 scientifiques, 4 300 enseignants, 30 000 travailleurs du secteur de la technologie, 6000 du secteur médical ont signé des lettres ouvertes contre la guerre. Certains ont perdu leur travail. Des pétitions ont recueilli plus d’un million de signatures. Les associations LGBT et féministes ont également protesté.
Si Facebook et Instagram ont été bloqués, l’information circule quand même notamment grâce aux VPN – en réseau privé- , à Telegram et à la campagne « call Russia » lancée en Lituanie. Plus de 20 millions d’appels en quelques jours, note le journal Libération, des millions de messages pour avertir sur la guerre, dire de ne pas fermer les yeux… Les hackers d’Anonymous sont aussi à l’œuvre.
Difficile d’estimer la répercussion de cette activité anti-guerre alors que les journaux, radios et télévision n’ont pas le droit de parler de guerre… Le 28 février, un sondage officiel indiquait que 68% des Russes soutenaient le Kremlin contre 22%. La Fondation anti-corruption de Navalny donnait d’autres chiffres et surtout une évolution : le soutien est passé de 53% le 25 février à 29% le 3 mars et le rôle de pacificateur de 25 à 12%. Navalny est en prison, mais Poutine connaît tous ces chiffres, tous ces faits. La question reste donc posée : cherche-t-il une porte de sortie ? Ou va-t-il, dans sa paranoïa, aller plus loin, plus fort ?