Par Hatem Bourial
Il est une évidence que tout le monde a oublié : la Tunisie a parlé latin avant la France comme l’atteste notre histoire antique. De fait, plusieurs termes, notamment des toponymes, ont des origines latines.
Les exemples sont nombreux et nous en choisirons quelques uns, en commençant par le terme « borj » dont on ne soupçonne pas les nombreux cousins étymologiques.
Dans la toponymie tunisienne, « borj » est souvent utilisé. Il suffit de citer Borj El Amri, Borj Boukhris, Borj Ali Rais ou Borj Ghazi Mustapha pour évoquer les nombreuses occurrences de ce toponyme qui désigne aussi bien un fort qu’un manoir rural comme c’est le cas à Sfax.
De toute évidence, le terme de « borj » provient du latin, tout en sachant que le mot latin provient lui-même du grec.
Du coup, il existe deux hypothèses. Soit « borj » est entré dans la langue arabe directement du grec, soit ce serait par le latin. Voyons donc cela de plus près.
En grec, « pyrgos » signifie « tour ». Plus précisément, il s’agit d’une tour où les chefs de tribus avaient leur résidence fortifiée, un lieu de vie mais aussi un lieu où ils gardaient leurs récoltes et leurs butins. Un peu à l’image des « ksours » du sud tunisien.
L’équivalent latin de « pyrgos » n’est autre que « turris ». D’ailleurs, la toponymie latine de Tunisie a gardé la trace de plusieurs Turris. Par exemple, Telmine dans le Nefzoua se nommait Turris Tamalleni. Plus intrigant, un quartier de Telmine se nomme encore Torra. On y trouve près de Ain Gherig les traces d’un barrage antique.
En latin, le mot grec « pyrgos » a donné ensuite « burgus » qui signifie fortin. Il s’agissait en principe d’ouvrages fortifiés sur la frontière romaine, le fameux limes.
Ce terme de « burgus » a incontestablement donné notre « borj » qui résonne comme un cousin étymologique. L’emprunt s’est fait à travers l’enchevêtrement des siècles et le mystère d’Epiméthée… Ainsi les mots « borj » et « bourgeois » sont liés sans que cela ne saute aux yeux.
Terminons avec un regard sur les langues européennes. En langue française, « burgus » a donné « bourg » qui signifie une agglomération jouissant au Moyen-Age d’un droit de fortification.
En vieux français, on trouve dans la Chanson de Roland les termes « borc » et « burc » au sens de place fortifiée.
Que dire alors de l’espagnol El Burgo ou du portugais Burgos ? Ils proviennent aussi de « burgos » !
Enfin, en allemand, le terme « burg » accompagne bien des toponymes. Il signifie à l’origine aussi bien chateau-fort que petit village. On utilise d’ailleurs « Burg » dans plusieurs mots allemands qui signifient ville ou maire (Burgmeister).
En anglais aussi, « boro » est un lointain cousin du « borj » tunisien.