Par Tarek Mami, Paris
Le journal officiel de la République Tunisienne (JORT) vient d’annoncer la naissance de la constitution tunisienne du président Kaies Saied. Il publie le projet dans son numéro 74 du 30 juin 2022. Un numéro qui deviendra collector dans l’histoire politique et constitutionnelle de la Tunisie, quel que soit son avenir. Ce projet constitue le décret présidentiel n°2022-578 du 30 juin 2022.
Cependant, « si gouverner, c’est prévoir », comme s’exclament les politistes, cette sentence semble aller comme un gant au projet de la nouvelle constitution, la troisième de la Tunisie indépendante, qui sera soumise, par le Président Tunisien Kaies Saied, au peuple tunisien, par référendum.
Kaies Saied : un homme « propre »
Le Président a pour lui une réputation qui lui permet d’avancer contre vents et marées. C’est un homme « propre », est la phrase rituelle qui revient dans la bouche des tunisiens. A voix haute, partout, chez les classes populaires, dans les cafés, les marchés et surtout les chauffeurs de taxis, pris comme thermomètres de la société. Mais également en chuchotant dans les classes plus aisées, qui sont plus au fait des ravages de la corruption, des magouilles et des effets des marchés noirs et autres marchés de l’économie parallèle. Pour beaucoup, il a lancé « un opération mains propres » et mis à nu les dérives de la magistrature contre laquelle tout le monde vocifère. Les interdictions de voyager, les mises en résidence surveillées, les arrestations et les gardes à vue de beaucoup d’hommes politiques qui ont tenu le haut de l’affiche de la société politique tunisienne, pendant la dernière décennie, et la mise en accusation des responsables du parti islamiste et dernièrement de son chef Rached Ghannouchi, met du baume au cœur des tunisiens, dans une sorte de vengeance, pour compenser le marasme économique que traverse le pays, et dont chaque tunisien souffre.
Convocation des électeurs
Le président tunisien, Kaïs Saïed, avait publié en mai, un décret pour la convocation des électeurs à « son » Référendum. Ce décret fixe la date du Référendum pour les Tunisiens résidents à l’étranger du samedi 23 juillet 2022 au lundi 25 juillet 2022, et sur le territoire national 25 juillet 2022, un lundi, jour férié doublement symbolique. D’une part, le 25 juillet est la date de la fête nationale tunisienne. D’autre part, cette date correspond au jour anniversaire de …la prise des « mesures d’exception », adoptées par le président par lesquelles il a mis fin aux fonctions du premier ministre, « président du gouvernement », selon la terminologie alors en vigueur, gelé le parlement – assemblée des représentants du peuple (ARP), avant sa dissolution le 30 mars 2022, et a entrepris de gérer le pays en légiférant par voie de décrets.
Avec ce Referendum, fixé à cette date, hautement symbolique, le président tunisien entend asseoir définitivement son pouvoir, sa vision « présidentialiste » de la gouvernance, et refermer la boucle de la période constitutionnelle exceptionnelle.
Et peu importe le taux de participation.
En effet, aussitôt publié, aussitôt adopté peut-on déjà pronostiquer, au vu de la popularité dans les sondages du président tunisien, qui continue à caracoler, en tête, face à l’ensemble de tous ses éventuels concurrents, si une élection présidentielle devait être organisée dans les semaines qui viennent.
Le droit tunisien ne fixe pas, en effet, contrairement à d’autres pays, ni quorum ni pourcentage de taux de participation pour valider une élection, et encore moins un Référendum. Pour que ce dernier l’emporte il suffit que le OUI dépasse le NON, et ce quel que soit le taux de participation.
C’est même Amine Mahfoudh, qui le crie haut et fort, en déclarant : « le taux de participation, même faible, n’altère en rien la légitimité du référendum. Ce qui compte, c’est la différence effective entre les ‘Oui’ et les ‘Non’ aux questions que le président de la République posera aux Tunisiens. Même un écart de quelques voix suffira à faire pencher la balance et ce, quel que soit le nombre de participants. » Amine Mahfoudh sait de quoi il parle. Il est à la fois un constitutionnaliste et l’un des artisans de la constitution de la troisième République, souhaitée par Kais Saied, aux côtés du professeur Sadok Belaid, bras droit du président tunisien dans cette opération de « nettoyage » de la constitution tunisienne, mise en place en grande fanfare, en 2014, par la Troika, post « révolution tunisienne », fer de lance du mal nommé, « printemps arabe », qui a chassé le président Ben Ali.
Et de trois constitutions post- indépendance
A ce titre l’affaire semble pliée. Aussitôt publiée, aussitôt adoptée, semble être le sort réservé à cette troisième constitution de la République, depuis son indépendance. Après celle de 1959, écrite par Bourguiba, père de la République. Après celle de 2014, écrite sous la domination politique de la Troïka qui s’est vantée d’avoir accouchée de « la meilleure constitution du monde ».
Un passé constitutionnel prolixe
Dans son enivrement culturel et géographique la Tunisie est un pays prolixe en termes de droit constitutionnel. C’est ainsi que son processus de modernisation a débuté par la promulgation d’un « pacte fondamental » (Ahd Al Aman) le 10 septembre 1857. Ce texte comporte un préambule 11 articles et des dispositions finales
Ce pacte est suivi d’une constitution le 26 avril 1861, qui comporte 13 chapitres.
Ces deux textes précèdent d’une trentaine d’années l’occupation de la Tunisie par la France et sa mise sous protectorat, en 1881.
La constitution de 1er juin 1959 comporte un préambule, 9 chapitres, 64 articles et des dispositions transitoires.
La constitution de 27 janvier 2014 comporte un préambule, 10 chapitres, 149 articles et des dispositions transitoires.
Le projet de constitution de 25 juillet 2022 comporte un préambule, 10 chapitres, 142 articles et des dispositions transitoires.
Dissection : une constitution de 10 chapitres et de 142 articles dix
Le projet de la nouvelle Constitution est composé de dix chapitres et compte 142 articles. Le premier chapitre énonce les dispositions générales. Le deuxième chapitre est consacré aux droits et libertés. Le troisième chapitre concerne la fonction législative. Le quatrième chapitre porte sur la fonction exécutive. Le cinquième chapitre concerne la fonction judiciaire. Le sixième chapitre est réservé aux collectivités locales et régionales. Le septième chapitre est consacré à l’Instance supérieure indépendante pour les élections. Le huitième chapitre développe les prérogatives du Conseil supérieur de l’éducation et de l’enseignement. Le neuvième chapitre porte sur la révision de la Constitution. Le dixième chapitre énonce les dispositions transitoires.
L’avenir et les prochaines étapes
Le Président tunisien compte, bien sûr, gagner « son » Référendum et appliquer le reste de « son » agenda. Une révision de la loi électorale, encore dans les limbes. Puis des élections législatives anticipées le 17 décembre. Une date tout aussi symbolique pour lui. Kaies Saied fixe, en effet, la date du début de la « révolution de la dignité » qui a mis fin au départ de Ben Ali, non pas au 11 janvier 2011, date du départ effectif de ce dernier, mais au 17 décembre 2010, jour où Mohamed Bouazizi s’est immolé, dans sa ville natale, Sidi Bouzid.
Entre « coup d’état » et « restauration »
L’histoire tranchera la polémique qui divisent les tunisiens, depuis un an, entre ceux qui rejettent les « mesures d’exception » et les considèrent comme étant un « coup d’État » contre la Constitution de 2014, et ceux qui les considèrent qu’il s’agit d’une « restauration du processus de la révolution de 2011 », qui a mis fin au règne l’ancien président Ben Ali.