Il n’a pas attendu les résultats pour fêter le succès de sa constitution. Une victoire qu’il voit « historique » mais qui, plus que étriquée, n’aurait pas été validée dans de nombreux pays démocratiques. Kaïs Saïed n’a obtenu qu’environ 2, 5 millions de voix sur 9,3 millions de votants potentiels. Il n’avait d’ailleurs guère fait mieux à la présidentielle d’octobre 2019. Mais peu lui importe : il va droit devant lui, le front haut, les yeux rivés sur son horizon, le peuple qu’il défend, qu’il prétend incarner. Un peuple qu’il est bien en mal de définir et qui manifestement ne le plébiscite pas.
Le bilan de KS ne plaide pas en sa faveur, ses compatriotes vivent de moins en moins bien. Attendront-ils encore longtemps alors qu’il s’est attribué tous les pouvoirs ? Sigma conseil redoute des « émeutes du pouvoir d’achat ».
Il y a un an, nous titrions un papier « Lénine le dit, Kaïs Saïed le fait ». Nous écrivions : Pour déchiffrer l’homme (KS), percer le mystère, les observateurs s’intéressent à Ridha Chiheb Mekki, dit « Ridha Lénine »… Très vite, il apparaît qu’il serait l’inspirateur du candidat et l’on parle de « maître à penser », de « tête pensante », d’ « éminence grise ». On fouille un peu et l’on se souvient d’un entretien accordé à notre confrère Mourad Sellami du Quotidien, en mai 2011. Des propos d’une actualité saisissante au lendemain de la prise de pouvoir de l’élu d’octobre 2019: “L’expression de la révolution n’est pas encore construite. Elle est en cours d’édification. Laissons au peuple le temps qu’il faut pour aiguiser ses armes. Laissons du temps au temps. Le peuple tunisien a toujours fait preuve de patience. Il n’est pas encore satisfait». Il est pour un État social, des élections à toutes les échelles mais, avant tout, une redistribution des compétences entre le central et le régional, au profit des régions. Refusant toute étiquette idéologique, il conclut: « Il se pourrait que je sois en train d’exposer la volonté du peuple. Je n’ai aucun intérêt personnel. J’ai grandement confiance en la volonté et le potentiel de ce peuple. Il attend. Il réagira en temps voulu »
On en serait toujours là, dans une lente construction d’une nouvelle Tunisie, bien éloignée de celle de Bourguiba qui l’a placée haut dans le monde, loin de la démocratie naissante qu’il enterre. Aujourd’hui, Ridha Lénine semble toujours ouvrir la voie à la pensée du président. Il déclare, cité par Jeune Afrique : « la politique ne se pratique pas au niveau des ambassades. La politique se pratique parmi les gens. Vous avez encore une grande opportunité, écoutez votre peuple… Fédérez les gens. Nous ne voulons pas de division, nous aspirons à la cohésion. »
Près de 7 millions de Tunisiens n’adhèrent pas au projet proposé, mais le président, qui sur ce point ressemble à Trump, reste dans sa vérité alternative, sa réalité parallèle. Cela ne signifie pas forcément que Kaïs Saïed va connaître l’échec. Mais il doit agir vite et fort, expliquer, réconcilier autour d’un programme. En est-il capable ? Le temps presse. Si l’espoir est toujours présent, il n’est pas éternel.