En levant hier, dimanche soir, le dispositif sécuritaire du spectacle de Lotfi Abdelli, les autorités policières ont créé un fâcheux précédent. En effet, non seulement ils ont mis en danger la vie d’autrui, en laissant place au désordre et aux débordements mais aussi, en se donnant une mission qui n’est pas la leur: celle du censeur qui juge un produit artistique.
Pareil comportement du corps policier ne s’est jamais produit, ni sous Bourguiba ni sous Ben Ali et encore moins sous Beji Caied Essebsi. Ce qui signifie qu’il y a quelque chose qui ne marche plus dans la triple relation policier-artiste-public et que les rôles ne sont plus clairs.
Lotfi Abdelli n’est pas une surprise, son « art », existe dans presque tous les pays du monde mais dans toutes les démocraties. C’est un humour « grossier » qui puise sa substance dans le langage de la rue et notamment dans celle des quartiers populaires. Il peut pousser celui qui l’entend et le voit au grincement des dents ou même aux hurlements mais cet humour plaît à ses adeptes. Il rencontre actuellement, un succès indéniable, que l’on peut expliquer non seulement par l’existence d’une colère sociale mais aussi par le talent de cet artiste qui manie avec beaucoup de dextérité l’humour « borderline ».
On peut aimer ou ne pas aimer ce genre d’humour mais nul ne peut nier que c’est une manifestation de la liberté d’expression et une preuve de l’existence de l’esprit démocratique. Cette liberté, qui comme tout un chacun sait, s’use quand on ne l’utilise pas. Lotfi Abdelli s’en use, aucun n’a le droit de l’en empêcher car la liberté n’a pas de limite. Parce qu’une liberté limitée, n’est plus une liberté.
Cela veut-il dire pour autant que Abdelli a le droit de tout dire et de tout faire sur scène? Seules les autorités culturelles en sont juges et peuvent intervenir dans le cadre de la loi et de leurs compétences. En tous cas, les policiers n’ont pas le droit de réagir, et encore moins d’abandonner leur poste alors que l’action ( le spectacle) se produit. Ce faisant, ils ont pris le rôle de critique, de juge, et de censeur. Ils auront également fait preuve d’un corporatisme pour le moins inacceptable et inquiétant.
Certes, on peut comprendre l’indignation des policiers face aux propos de Lotfi Abdelli, qui peuvent être interprétés comme insultants mais c’est cependant oublier que cet humoriste présente avant tout un spectacle artistique, dont la nature impose un rapport différent à la réalité. Personnages, références, lieux, dates etc, n’ont plus de valeur réelle. Même s’ il fait de l’humour politique, Lotfi Abdelli ne fait pas de la politique. Le meilleur recours, et le seul, aurait été pour les policiers comme pour toutes autres corporations, la voie judiciaire.
Par ailleurs, cet événement est peut être à lier à la campagne de dénigrement que Lamine Nahdi a vécu après son spectacle du 26 juillet à Carthage. Nos humoristes sont-ils en danger?
Ce dont on ne peut douter, c’est que l ‘incident qui s’est produit dimanche à Sfax n’est pas anecdotique mais bien symptomatique du changement politique que la Tunisie vit actuellement.