Les ventes des Versets sataniques s’envolent depuis que leur auteur, Salman Rushdie, a été victime d’une attaque au couteau. A l’époque de sa parution, il y a trente-quatre ans, ils n’étaient pas très nombreux à avoir lu ce roman sur l’arrivée de deux migrants indiens au Royaume-Uni, leurs difficultés et le déracinement culturel. L’ayatollah Khomeini ignorait tout du livre paru en septembre 1988 et de son auteur. Il ne savait sans doute pas que l’Inde l’avait interdit, que des exemplaires avaient été brûlés en Grande-Bretagne, mais le 12 février 1989, il voit à la télévision un reportage sur une manifestation -cinq morts-au Pakistan contre Les Versets sataniques. Un titre qui ne peut être que celui d’un livre blasphématoire. Le guide suprême n’est pas en grande forme, son pouvoir est contesté. Pour reprendre la main, rassembler derrière lui, il rédige deux jours plus tard une fatwa condamnant à mort non seulement l’auteur, mais aussi les lecteurs : « J’appelle tous les musulmans zélés à les exécuter rapidement, où qu’ils les trouvent, afin que personne n’insulte les saintetés islamiques. Celui qui sera tué sur son chemin sera considéré comme un martyr. C’est la volonté de Dieu. ». Quelques mois plus tôt, en Inde, Rajiv Gandhi avait fait interdire l’importation du livre dans l’espoir de gagner les élections en faisant ce geste envers les musulmans.
L’ayatollah Khomeini décédait le 3 juin 1989. La fatwa était maintenue , même si le président Khatami demandait de ne pas l’appliquer.
Tous ceux qui ont lu les pages contestées savent qu’elle ne sont pas blasphématoires, ni choquantes – certains parlent en fait d’ijtihad. La question est aujourd’hui de savoir quelle crédibilité on peut accorder à l’Iran. S’il n’y a, pour l’instant aucune réaction officielle, le journal Kayhan, dont le rédacteur en chef est nommé par le Guide suprême Ali Khamenei, lance « « Mille bravos (…) à la personne courageuse et obéissante qui a attaqué l’apostat et le démon Salman Rushdie à New York ». On peut penser que l’agression dérange Téhéran en pleines négociations nucléaires, on doit s’interroger sur le sens de ces félicitations. Cela signifie-t-il que le pays des mollahs n’oublie rien, peut passer des accords et ne pas les tenir ? La République islamique d ’Iran de 1979 resterait toujours fidèle à ses bases, à savoir que les Etats-Unis et Israël sont les grands satans qu’il faut détruire… Taqiya ?
Quelles que soient ses motivations, l’agresseur, jeune chiite d’origine libanaise, a mis en œuvre la vieille fatwa. Le khomeynisme vit toujours. Et les interrogations sur l’Iran vont au-delà de celles sur l’intégrisme et la liberté d’expression. Et, dans le contexte actuel, de guerre en Ukraine, on pense à l’alliance entre la Russie et l’Iran, au « monde démocratique » proposé avec la Chine et qui fait envie à l’ouest de Tunis.