« Vive l’Emirat Islamique ! Allahu Akbar ! ont chanté en dansant et en faisant des selfies de nombreux talibans à Kaboul et dans d’autres villes où, armés, ils ont défilé dans leurs pick-up. Un an après « la grande victoire arrivée à la suite d’innombrables sacrifices et épreuves », selon Abdul Ghani Baradar, vice-Premier ministre et co-fondateur du mouvement des talibans. Il n’y a pourtant rien à fêter. On ne célèbre pas la misère, les fausses promesses, le calvaire des femmes afghanes privées de leurs droits.
Hamida Aman, arrivée en France à l’âge de huit ans mais qui retourne souvent à Kaboul où elle a fondé deux radios dont Begum en mars 2021 « pour les femmes et par les femmes » est catégorique : « les Afghans sont enfermés dans une cage avec des loups ».
On connaît les mensonges des talibans, les chiffres de la descente aux enfers : 95% de la population ne mange pas à sa faim, 50% sont en insécurité alimentaire, un million d’enfant de moins de cinq ans est malnutri. 97% des Afghans vivent au-dessous du seuil de pauvreté contre 72% un an plus tôt. Il y a ces chiffres catastrophiques, il y a surtout la vie plus que difficile surtout pour les femmes qui n’ont plus aucun droit. « Tout nous a été arraché, ils sont même entrés dans notre espace personnel » témoigne une habitante de Kaboul. Les talibans s’arrogent tous les droits, y compris de violer, loin de la morale qu’ils prônent…Beaucoup de femmes ont perdu leur travail ou ont été rétrogradées derrière des hommes. Elles ne peuvent se déplacer sans un tuteur. Les filles n’ont plus le droit d’aller au collège ou au lycée… Dans les rues, on voit aussi des hommes qui étaient ingénieurs, enseignants (…) mendier car il ont été licenciés.
La faim est là. Si les produits ne manquent pas vraiment, les parents ne peuvent plus les acheter faute de revenus. Des filles sont vendues pour percevoir la dot qui permettra un temps de faire manger le reste de la famille…
Les talibans ont lutté avec un réel succès contre la corruption et ont récupéré des biens mal acquis sous l’ancien régime, mais contrairement à leurs promesses et à leur condamnation du trafic de stupéfiants, ils ont permis d’augmenter la culture du pavot qui leur procure des revenus confortables, de 6 à 11% du PIB en 2021. Depuis leur retour au pouvoir, Kaboul est privé des aides internationales qui fournissaient 80% du budget et représentaient 40% du PIB. Et 9,2 milliards de dollars sont bloqués dans les banques américaines et européennes.
« Résistance passive »
Existe-t-il un espoir dans ce pays qui s’effondre ? La journaliste Solène Chalvon-Fioriti, qui parcourt l’Afghanistan depuis plus de dix ans, répond oui, ce jour au micro de France info : « il y a de l’espoir, on sent une résistance passive » notamment de la part des femmes qui osent manifester, qui sortent dans les rues sans burqa. Et dans tout le pays, des écoles clandestines permettent aux filles d’étudier. Parfois, des jeunes talibans, leurs frères, ferment les yeux.
Espoir aussi grâce à d’autres jeunes talibans qui ont laissé les armes au vestiaire pour gagner les bancs des universités. Ils n’étudient pas que la religion, mais aussi les technologies modernes, l’informatique, le droit, l’économie…
Espoir encore avec la résistance armée menés principalement par le Front de résistance nationale d’Ahmad Massoud, fils du célèbre commandant. Son NRF n’a pas pu tenir la vallée du Panchir, mais elle y mène des raids éclair, des opérations de harcèlement avant de s’abriter dans les montagnes. Pas encore de ralliements d’autres forces, de tribus, mais Ahmad Massoud et l’ancien vice-président Saleh réfugiés au Tadjikistan gardent espoir. Ils manquent d’armes -personne ne semble vouloir aujourd’hui leur en fournir- alors que les talibans auraient récupéré un armement américain valant des dizaines de milliards de dollars.
Aujourd’hui, Blick a pu s’entretenir avec Ali Maisam Nazary, chef des relations extérieures du NFR qui, sans doute, exagère. Il affirme que « nous sommes présents dans douze des 34 régions et en contrôlons six. Dans le nord, nous avons gagné tous les combats contre les talibans, avec en prime de lourdes pertes pour eux ». L’ami de Massoud estime que les talibans « se sont eux-mêmes divisés en plusieurs groupes qui s’affaiblissent mutuellement ». Ce qui, là, est exact. Le “ réseau Haqqani” -ministre de l’Intérieur- s’oppose au « groupe de Doha » mené par le mollah Baradar, numéro 2 du régime. Des affrontements armés se sont déjà produits. Des luttes intestines et ethniques provoquent des tensions et pourraient menacer le régime. Les maîtres de Kaboul se heurtent aussi à l’Etat islamique du Khorasan, fort de quelque 4 000 combattants et auteur de nombreux attentats. Malgré leurs promesses, les talibans entretiennent toujours de bons rapports avec Al Qaïda. D’ailleurs, Ayman al Zawahiri résidait dans une maison prêtée par Sirajuddin Haqqani.
Aucun pays n’a reconnu l’Afghanistan taliban mais plusieurs pays comme la Chine, la Russie, l’Iran, le Pakistan ou le Qatar gardent ouverte leur ambassade à Kaboul. La majorité des autres, dont le Etats-Unis et la France maintiennent des canaux pour parler aux talibans, dire ce qu’ils attendent et insister sur les conditions à remplir pour établir des relations. Les doits humains, le respect de la femme, les libertés…