Le prince saoudien Mohammed Ben Salmane n’est pas le seul à rêver de mégapole ultra connectée et sophistiquée, le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi a aussi son plan « Vision 2030 » qui comprend la construction d’une nouvelle capitale dans le désert, Al Masa, le diamant. L’idée n’est pas vraiment neuve, Anouar el-Sadate l’avait eue en son temps, mais son rêve d’une « Sadate-city » avait échoué.
Sissi a dévoilé son rêve en mars 2015 à Charm el-Cheikh en présence d’investisseurs internationaux: bâtir une nouvelle capitale à 45 km à l’est du Caire en direction de Suez sur une superficie de 765 km² – Singapour, sept fois Paris intra muros – qui accueillerait six millions d’habitants et posséderait un immense aéroport, une cité des arts et de la culture, d’immenses zones végétalisées… Une vision pharaonique, mais sans doute nécessaire car Le Caire, à bout de souffle avec ses 23 millions d’habitants ,suffoque sous la pauvreté, la pollution et les embouteillages. Difficile d’imaginer que la ville pourrait supporter ses 40 millions d’habitants annoncés pour 2040. Vouloir gagner sur le désert quand la surface habitable n’est que de 7% apparaît raisonnable. La population, plus de 100 millions, s’accroît de 2% par an.
En 2016, lors du lancement des chantiers, le financement principal était assuré par des fonds émiratis. Les Émirats se sont désengagés – un désaccord sur la répartition des profits espérés? – et l’armée est devenue maître d’œuvre par le bais de l’ACUD, Administrative Capitale for Urban Development, qu’elle dirige. Aujourd’hui, les principaux investisseurs sont deux sociétés chinoises ainsi que le ministère de la défense, celui du Logement et le groupe familial égyptien Orascom dirigé par Nassef Sawiris, deuxième fortune d’Afrique avec un peu plus de huit milliards de dollars.
Vendredi, le président Sissi a emprunté l’autoroute à six voies qui, après la sortie du Caire, mène à Al Masa. Venu s’enquérir de l’avancée des chantiers où 20 000 ouvriers travaillent 24 heures sur 24, il a exigé qu’ils soient terminés dans les temps. Jusqu’à présent et parfois au milieu des sables, sans rien autour, se dressent la mosquée Al-Fattah Al-Alim avec ses quatre minarets, qui peut accueillir 12000 fidèles, la plus grande cathédrale copte de la Naissance du Christ, l’hôtel de l’armée avec ses 900 chambres bien sûr inoccupées, quelques tours bâties par les Chinois, dont la plus haute d’Afrique, 385 mètres, différents bâtiments. Il est prévu que 34 ministères déménagent en juin et, plus tard, des ambassades étrangères et des routes. La première tranche d’Al Masa doit être réalisée avant la fin de 2022. Elle porte sur 168 km² et aurait déjà coûté 45 milliards de dollars, au lieu de 25, soit le budget initial global.
Qui pourra habiter les futurs logements? Il en est prévu pour toutes les bourses, mais en réalité, il semble bien qu’un appartement moyen vaudra 73 000 dollars. Beaucoup pour un salaire moyen annuel de 4 800. 55 000 fonctionnaires sont appelés à y travailler. A s’y loger? Un autre problème crucial se pose, celui de l’approvisionnement en eau. Elle viendrait à 90% du Nil. Trop? Et il y a ce barrage de la Renaissance que l’Éthiopie construit et qui réduirait drastiquement le débit du Nil en Égypte. Un casus belli , entend-on dire au Caire. Si l’on ajoute la chaleur et les besoins en climatisation, le covid et la crise économique, on voit la difficulté à mener à bien ce projet immense que les Égyptiens nomment en se moquant, en doutant « Madinat Sissi » ou « Sissi City