Par Hatem Bourial
A elle seule, la rue Zarkoun est un extraordinaire condensé de la Tunisie plurielle. Reliant la rue des Maltais à souk el Grana, cette rue est riche de dizaines de lieux de vie et de mémoire.
En l’arpentant, on peut en effet retrouver les traces les plus diverses. Elles vont du premier théâtre de Tunis à quelques synagogues oubliées. Traversant la mémoire des maisons closes d’hier et d’aujourd’hui, la rue Zarkoun, ce sont aussi d’anciennes résidences d’ambassadeurs étrangers, de consuls pour être plus précis.
Dans cette rue, on trouve par exemple les dernières traces de la clinique ophtalmologique du docteur Guenod. On trouve aussi le tout premier local de la Dante Alighieri, la société culturelle italienne.
Les gourmets se souviennent certainement de la gargotte de Mimi et Jeannot dont les casse-croûte avaient une saveur incomparable. Les bibliophiles se souviennent eux des dizaines de bouquinistes qui avaient leurs échoppes rue Zarkoun mais qui ont fermé les uns après les autres. A la fin des années soixante, la rue Zarkoun était aussi le lieu de prédilection de marchands de disques d’occasion.
Dans cette même rue se trouvait au numéro 12, le consulat d’Allemagne et juste en face celui des Pays-Bas, le second en date, celui où ont longtemps résidé les Njissen. Un peu plus haut, on pouvait trouver le Théâtre Tapia qu’on nommait aussi le Théâtre Carthaginois.
Fondé en 1842, ce théâtre a connu de riches heures et constitué l’attraction du milieu du dix-neuvième siècle. Longtemps, la rue Zarkoun était aussi réputée pour ses maisons closes. Le Sphinx était le plus connu de ces boxons et se trouve désormais à l’état de ruine.
Plus loin dans cette rue, on entrait dans l’ancien quartier livournais. La dernière des synagogues livournaises n’a fermé qu’il y a quelques décennies. C’était celle de l’impasse du Masseur et il n’en subsiste plus qu’un terrain vague envahi par la végétation. De mène, la synagogue de l’impasse Hanachi a totalement disparu ainsi que les dernières traces des juifs Livournais.
Il reste bien sûr le nom de souk el Grana même si les Livournais ne sont plus là depuis longtemps. Le terme « Grana » est le pluriel de « Gorni », habitant de Livourne. Selon les versions, le mot « Grana » renvoie à la couleur grenat, celle du pavillon livournais de l’époque ou encore au toponyme « Leghorn » qui, en anglais, désigne Livourne.
De nos jours, ce souk accueille surtout des marchands de tissu et mène tout droit au souk Sidi Mahrez et à la zaouia du saint patron de Tunis. Comme quoi la rue Zarkoun mène à tout ! Il est vrai que depuis le dix-septième siècle, cette longue ruelle structure tout un quartier riche en histoire et dont les monuments restent peu connus voire oubliés.
Reste à savoir le sens précis du terme « Zarkoun ». Est-ce un nom de personne, un diminutif, un nom de lieu ? La question reste ouverte…