Depuis midi, heure de Tunis, 156 millions de Brésiliens sont appelés aux urnes pour élire leur président, leurs députés, un tiers des sénateurs et les 27 gouverneurs provinciaux. Les sondages donnent Luiz Inacio Lula da Silva, dit Lula, largement favori devant le sortant Jair Bolsonaro et la question est de savoir si l’ancien président de gauche, au pouvoir de 2003 à 2010, l’emportera du premier tour ou devra affronter son rival d’extrême droite lors du second tour du 30 octobre.
En retard d’au moins douze points, Bolsonaro, le pro de la désinformation, compte bien, lui aussi, gagner aujourd’hui. A Londres, à l’occasion des funérailles de la reine Elizabeth II, il n’a pas hésité à déclarer que « si on ne gagne pas au premier tour, c’est qu’il s’est passé quelque chose d’anormal au tribunal électoral ». Depuis des mois, le président sortant se déchaîne contre le vote électronique en vigueur depuis 1996 avec lequel il a été élu député puis président sans qu’il n’y trouve à redire et qui est jugé sûr et fiable. Ses partisans affirment avoir enquêté et découvert que certaines personnes disposent du « pouvoir absolu de manipuler les résultats sans laisser de traces ». Ce qui fait craindre des troubles si Lula est élu. Il ne prendrait ses fonctions que le 1er janvier prochain et la transition risque d’être agitée. Bolsonaro a promis de respecter les résultats, mais a posé une condition : que les élections soient « propres et transparentes ». Ce dont, à l’évidence, il doute… Et l’on pense à des événements du type “Capitole le 6 janvier”d’autant que le « Trump des tropiques » a favorisé la vente d’armes, plus 474% en quatre ans. La justice a interdit le port d’armes dans, et autour, des bureaux de vote.
Jair Bolsonaro, l’homme qui n’aime ni les Noirs ni les femmes ni les LGBT, laisse un pays divisé, plus polarisé que jamais. Son mandat a été marqué par la récession, l’inflation, le chômage, la déforestation outrancière de l’Amazonie, la gestion catastrophique de la pandémie du covid, une « grippette » qui a tué 687 000 de ses compatriotes. Un bilan « catastrophique » jugent certains, mais dans le Sud, plus riche, les milieux d’affaires ne se plaignent pas, voient des perspectives économiques positives, et Bolsonaro y restera sans doute majoritaire. L’influence aussi des Églises évangélistes suivies par un tiers, voire la moitié de la population. Le pasteur de l’une d’elle, Silas Malafaia, corrige les discours présidentiels…
Dans le Nordeste pauvre, les votes sont acquis à Lula, le président qui avait donné à manger, fait chuter l’insécurité alimentaire grave de 9,5% à 4,2%. Aujourd’hui, 15% des Brésiliens, soit 33 millions de personnes, ont faim. Ce que nie Bolsonaro : « La faim n’existe pas vraiment au Brésil. Si vous allez dans n’importe quelle boulangerie, vous ne verrez pas quelqu’un en train de mendier du pain ». Renato Maluf, qui dirige le réseau Penssan, spécialisé dans la sécurité alimentaire, riposte : Jair Bolsonaro a ramené le pays quinze ans en arrière. Lula, comme d’ailleurs son rival, promet des aides, mais ne veut pas renverser la table, il souhaite seulement à tous la possibilité de « se faire un petit barbecue et de boire une bière ».
Lula, à bientôt 77 ans et après 580 jours passés en prison pour corruption avant d’être blanchi en raison de vices de procédure – le fonds n’a pas été abordé- est-il encore celui qu’en 2009, Barack Obama « adorait » et voyait comme « l’homme politique le plus populaire de la planète ? A plusieurs reprises durant la campagne, il est apparu fatigué. Il n’a plus la même fougue et assagi, se veut avant tout crédible. Il a toujours été un habile négociateur et, pour convaincre plus largement, il a choisi comme vice-président un conservateur de droite, Geraldo Alckmin, qu’il a battu à la présidentielle de 2006.
De nombreux indécis
Bolsonaro et Lula ne sont pas les seuls à briguer les suffrages. Ils sont au total douze candidats, dont huit sont au-dessous de 1% d’intention de vote. Un duel ? Oui, mais plus de 20 % des électeurs étaient encore indécis à la veille du scrutin, ne voulant ni l’un ni l’autre de ces deux hommes qui, à la place de programme s’échangent des insultes. Corrompus tous les deux… La « troisième voie » souhaitée par beaucoup est représentée par Ciro Gomez, 64 ans, centre gauche, qui se présente pour la quatrième fois et Simone Tebet, 52 ans, centre droit. Ils sont crédités de 6 et 5% des voix, mais espèrent que tout n’est pas écrit, qu’ils feront mieux aujourd’hui.
Un favori donc, Lula dont le programme est de « faire la même chose mais en mieux ». Et de nombreuses fake news et des craintes de troubles graves. Il y a quelques mois, Bolsonaro ne voyait « que trois issues possibles aux élections : être réélu, emprisonné ou tué ». Il sous-entendait que ses partisans armés pourraient descendre dans la rue. L’armée ne soutiendrait pas Bolsonaro. Autre défi : l’élu n’obtiendra sans doute pas la majorité à la chambre des députés.
Ces élections n’apaiseront pas le Brésil…