Très remonté contre le prince Mohammed Ben Salmane, accusé d’avoir commandité l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi, Joe Biden avait promis, lors de sa campagne, de faire de l’Arabie Saoudite un Etat « paria ». Devenu président, et malgré la publication du rapport de la CIA, il n’avait pas fait grand-chose contre celui qui sera roi. Puis, confronté à la crise énergétique en partie née de la guerre en Ukraine, il était allé le 15 juillet à Djeddah quémander du pétrole tout en se sentant obligé de préciser qu’il restait très attaché au respect des droits humains. Il était reparti les mains vides. Et il vient de recevoir une gifle qui pourrait lui faire perdre des voix aux midterms du 8 novembre : MBS, leader de l’OPEP + avec la Russie a osé voter une baisse de la production de pétrole -2 millions de barils/jour – alors que les Etats-Unis, les Occidentaux avaient fait pression pour une augmentation qui entraînerait une baisse des prix.
Une véritable insulte aux yeux de Biden qui affirme qu’ « il y aura des conséquences pour ce qu’ils ont fait avec la Russie ». Il y aura une « réévaluation des relations », peut-être bien des représailles. Si l’on comprend bien, le royaume protégé depuis 1945 par le géant américain n’aurait pas obéi et mériterait une punition. Joe Biden, parfois jugé « trop vieux » ne vit-il pas dans une époque révolue ? Celle, qui n’existe d’ailleurs pas, du nouvel ordre mondial de Bush père en 1991, du bien contre le mal ? L’Arabie Saoudite, comme les Emirats, parlent d’une décision purement économique, loin de toute idéologie. On peut rire de Neom et des ses jeux d’hiver en 2029, on peut penser que le plan Vision 203O n’est qu’une impossible gageure, mais le pétrole n’est pas éternel et le pays de MBS doit préparer le temps d’après. Toutes les COP l’affirment. Et le changement coûtera cher. Le royaume des Saoud doit-il vider ses caisses, hypothéquer l’avenir pour plaire au maître ?
Ce qui se passe en Ukraine et oppose les Etats-Unis à la Russie secoue le monde entier, tourne à la guerre de civilisation entre ces deux camps, mais une partie du monde -notamment l’Afrique et une partie de l’Asie- estime, à raison, que ce n’est pas sa guerre, qu’elle n’a pas à en supporter les conséquences. Une demande d’équilibre, de justice. L’histoire récente ne montre pas une Amérique œuvrant pour le bien des peuples, mais bien pour son propre intérêt qui se confondrait avec celui du monde libre, démocratique. Ce qui fait dire à l’ancien diplomate français Gérard Araud : « quand on voit l’Irak et la Libye, on peut se demander s’il n’y a pas pire qu’une dictature ? » Il y a deux semaines, dans l’hebdomadaire Marianne, l’anthropologue français Emmanuel Todd posait la question « comment le reste du monde nous voit-il », nous les Occidentaux qui sommes, affirme-t-il, caractérisés par une « fausse conscience ». Il concluait : « La cruelle vérité est que le reste du monde ne nous aime pas. S’il est sommé de choisir entre l’Occident et les Russes, il risque de choisir les Russes ».
Le philosophe, écrivain et ancien ambassadeur à l’Unesco, le Tunisien Mezri Haddad n’est pas loin de cette ligne dans son dernier livre « Du conflit de civilisation à la guerre de substitution » -Editions Jean-Cyrille Godefroy. Pour lui, « les Etats-Unis ont un projet de domination mondiale » et il demande « quel nouvel ordre mondial, quel monde veulent les peuples ? Un monde unipolaire dominé par une seule puissance ou un monde équilibré multipolaire où il n’y a plus de puissances finalement dans lequel on respecte la souveraineté des Etats l’authenticité des peuples » Le monde tel qu’il a été voulu par l’Occident américain n’est plus vivable », estime-t-il et il voit un jeu mouvant d’alliance
Cela dit, l’écrivain tunisien croit toujours « à la civilisation occidentale, mais pas en ses leaders ».
La démocratie, non dominatrice et juste, reste le meilleur pour tous pays…