En 2019, il avait promis que son parti, le Parti républicain populaire (CHP) allait gagner les mairies d’Istanbul et d’Ankara et, à un journaliste qui lui reprochait de rêver, il répliquait : « vous verrez, je vous dis la vérité ». Kemal Kiliçdaroglu aimerait répéter ces mots le 14 mai au soir, déclaré vainqueur de la présidentielle, face à Recep Tayyip Erdogan.
A 74 ans, le président du CHP, ancien haut fonctionnaire et patron de la sécurité sociale, a été choisi par « la table des six », les six partis de l’opposition, pour défendre leurs couleurs face à Erdogan qui est au pouvoir -Premier ministre, puis président, depuis 2003. Il n’était pas forcément le favori et l’alliance a failli exploser car le Bon parti de Meral Askener préférait le maire d’Istanbul Imamoglu ou celui d’Ankara avant de rentrer dans le rang, ses favoris choisissant de soutenir Kiliçdaroglu qui pourrait même voir la parti kurde HDP se rallier à sa candidature.
Homme de l’ombre, déterminé, travailleur mais peu charismatique, Kemal Kiliçdaroglu est l’opposé total d’Erdogan. Le président s’est fait construire un palais de 1 000 pièces, il habite un appartement modeste au mobilier fatigué ; il a l’air effacé et doux, le président est cassant, nerveux.
Face au sultan autoritaire, Kiliçdaroglu est « la force tranquille » qui trace sa route sans dévier de son but. En 2017, suivi par des milliers de militants, il parcourt, à pied, 450 km, d’Ankara à Istanbul pour dénoncer l’autoritarisme du pouvoir et défendre un de ses députés incarcéré. Il est alors surnommé « Kemal Gandhi » ou « le Gandhi turc ». D’ailleurs, il ressemble physiquement à l’apôtre indien de la non-violence.
Depuis qu’il est entré en politique au début des années 2000 et qu’il pris en 2010 la direction du parti fondé par Atatürk, Kiliçdaroglu combat la corruption et le « dictateur « . En 2018, quand Erdogan a été réélu, il disait : « on ne peut pas féliciter un homme qui ne défend pas la démocratie. Je le féliciterai d’ailleurs pour quoi ? ». Aujourd’hui, dans le même esprit, il dit : « je peux vous dire un fait qu’il n peut pas nier : les tyrans finissent toujours par tomber ». Et il promet de rétablir le régime parlementaire et de conduire le pays autrement : ‘Mon peuple bien aimé, nous dirigerons la Turquie par la consultation et le consensus. Nous rétablirons ensemble le pouvoir de la justice et de la morale ».
Kemal Gandhi, à la tête d’un parti laïc, veut rassembler et sait être un homme de compromis. Il a, par exemple, proposé une loi pour garantir le port du voile pour contrer Erdogan qui affirmait que le CHP voulait l’interdire.
Quel accord peut-il proposer aux Kurdes pour qu’ils ne proposent pas de candidat ? Ils représentent de 12 à 15% de l’électorat et sont, traditionnellement, les arbitres des scrutins. Le premier sondage – pas très fiable- donnait la victoire au premier tour de Kiliçdaroglu par 57 à 43% en cas de duel. En 2018, Erdogan avait gagné avec 52,59% des suffrages.
Le sultan est fragilisé par le séisme qui a fait ressortir la corruption et l’incompétence, mais il garde une base électorale solide. Pas évident en Turquie de s’opposer à lui qui, au fil des années, s’est emparé de tous les pouvoirs, a pris le contrôle de la presse et de l’armée, et n’hésite pas à envoyer en prison ceux qui pourraient lui faire de l’ombre. Animal politique, tribun charismatique, le président turc est prêt à tout pour conserver le pouvoir lors des élections du 14 mai prochain. Kiliçdaroglu livrera, lui, sa première bataille présidentielle. Pour la gagner, il devra convaincre les électeurs de la capacité de l’opposition de gouverner. Pour l’heure, son principal point commun est de se débarrasser d’Erdogan. Le programme, notamment économique, viendra après la victoire. Finalement, aujourd’hui, c’est plutôt du 50/50.