Erdogan peut-il perdre ? A cette question posée il y a deux semaines, la réponse était « oui » et les sondages laissaient entrevoir l’élection au premier tour de son rival Kemal Kiliçdaroglu. Mais le 14 mai au soir, le président terminait largement en tête avec 49,5% des suffrages et 2,6 millions de voix de plus que le leader de l’opposition.
Si l’on pose la même question aujourd’hui, la réponse est majoritairement « non ». Les quelque 64 millions d’électeurs ont affiché lors du premier tour un visage nationaliste, xénophobe et conservateur de leur pays. Ils ont élu le parlement le plus à droite, le plus nationaliste de leur histoire. Ils ont eu peur du changement et ont voté pour la stabilité. Malgré ses défauts, malgré la crise économique, malgré le séisme, ils ont voulu croire aux larges promesses du président qui en 20 ans avait assuré la prospérité et placé le pays sur la scène internationale. Kiliçdaroglu n’annonçait pas grand-chose avec pour seul slogan visible : tout sauf Erdogan. Cela n’a pas suffi à convaincre.
Alors, le Gandhi turc, modéré aux idées libérales pour un retour de la démocratie s’est rallié à la voie dominante, le nationalisme et s’est montré radical. Au lieu des cœurs avec ses mains, des paroles dures contre les réfugiés, surtout syriens qu’il renverrait dès son élection car la Turquie n’était pas un « dépôt de migrants » et l’Europe allait payer… Un discours qui lui a valu le soutien du parti de la victoire, ultra nationaliste d’Umit Ozdag – 2,2% des suffrages. Un apport insuffisant qui pourrait le priver des voix modérées et kurdes. De sa prison, le leader kurde Demirtas a appelé les siens à continuer à soutenir Kiliçdaroglu : « Il n’y a pas de troisième tour dans cette affaire. Faisons de Kiliçdaroglu le président. Laissons la Turquie respirer. Allez aux urnes. Votez.
Mais en cherchant à gagner des voix nationalistes, l’opposant risque de perdre des voix kurdes… Son plus grand espoir réside chez les abstentionnistes, chez les électeurs habituels de sa coalition qui n’ont pas voté pour lui, comme 20% de ceux du Bon Parti : « J’en appelle à nos 8 millions de citoyens et à tous nos jeunes qui ne se sont pas présentés aux urnes le premier tour. Que ceux qui aiment leur patrie viennent aux urnes » n’a cessé de déclarer et de tweeter Kemal Kiliçdaroglu. Recep Tayyip Erdogan a, lui aussi, cherché à mobiliser les abstentionnistes afin d’amplifier sa victoire. Il lui manquait 500 000 voix le 14 mai…
Une inconnue demeure : c’est la première fois que la Turquie va vivre, ce dimanche, un second tour. Dans les urnes, les électeurs qui auront eu deux semaines pour réfléchir- ou non- à leur vote accorderont-ils aux difficultés de leur vie quotidienne, au népotisme, à la corruption plus d’importance qu’aux questions identitaires, qu’à la place du pays ?
Les derniers sondages donnaient une avance de 2 millions de voix au président sortant.