Si l’on en croit la déclaration commune adoptée à l’issue du sommet de Saint-Pétersbourg, tout va pour le mieux entre la Russie et l’Afrique. Les partenaires s’engagent à “créer un ordre mondial multipolaire plus juste, équilibré et durable, s’opposant fermement à toute forme de confrontation internationale sur le continent africain” . Moscou aidera les pays africains à “obtenir réparation pour les dégâts économiques et humanitaires causés par les politiques coloniales occidentales”, y compris « la restitution des biens culturels » pillés. Dès l’ouverture, jeudi, Vladimir Poutine avait promis la livraison gratuite de céréales à six pays et affirmé qu’il étudiait les initiatives de paix africaines dans le conflit avec l’Ukraine alors qu’il n’avait pas vraiment pris au sérieux les propositions de la mission africaine présentées par Macky Sall.
Le président russe a servi la rhétorique habituelle, lui qui n’a découvert l’Afrique qu’en 2014 alors qu’il était isolé à la suite de l’annexion de la Crimée, de ses premières « conquêtes » en Ukraine. Un besoin de nouveaux partenaires, de soutiens. Globalement, l’Afrique s’éveillait. Potentiellement riche, elle voulait s’affranchir, ne plus subir et défendre ses intérêts. Un continent qui pouvait et voulait compter. La volonté sino-russe d’un nouvel ordre multipolaire sans néocolonialisme avait de quoi séduire. Et la Russie, opportuniste et pragmatique, promettait aide politique et armes sans regarder la gouvernance et le respect des droits de l’homme. L’union de régimes autocrates. Et l’arrivée de Wagner pour sécuriser les pays qui s’éloignaient de la démocratie. Pour souffler sur un sentiment antioccidental.
Le partenariat a été réaffirmé, mais tous les Africains ne sont pas dupes. Moussa Mahamat, président de la Commission de l’Union africaine, a été clair en réclamant « des faits et moins de déclarations d’intention ». Le Comorien Assoumani, président de l’UA, a insisté : la promesse de livrer gratuitement des céréales , ce n’est « pas suffisant », il faut arriver à un cessez-le feu.
Et Poutine, qui aurait aimé se vanter d’une belle photo de groupe, n’a pu attirer que moins de la moitié du nombre de chefs d’Etat présents lors du premier sommet en 2019 et quatre d’entre eux – Sall, Sassou Nguesso, Embalo et Assoumani – ont refusé de poser pour ne pas être vus aux côtés des putschistes maliens, burkinabés ou guinéens. Ces derniers se sont intéressés de près aux expositions d’armes en compagnie de Viktor Bout, le trafiquant d’armes libéré en décembre par les Etats-Unis en échange de la basketteuse Brittney Griner.
L’Afrique ne forme pas un tout homogène. Si la majorité des pays africains sont favorables à un monde multipolaire et à des relations véritablement d’égal à égal sans aucune inféodation, ils ne sont pas pour autant aveugles et constatent que la Russie ne peut tenir ses promesses. Lors du premier sommet en 2019 à Sotchi, Poutine avait promis de doubler les échanges en cinq ans. Après un net accroissement en 2020, ils ont chuté et le covid puis la guerre en Ukraine n’expliquent pas tout. Les échanges commerciaux stagnent à moins de 20 milliards de dollars contre 254 avec la Chine, 295 avec l’Europe et 89 avec les Etats-Unis. Ils se font , aux 2/3 avec quatre pays, l’ Egypte, l’Algérie, le Maroc et l’Afrique du Sud. La Russie qui a trois points forts – blé, armes et pétrole – reste un nain économique, un petit investisseur, 1% des investissements directs en Afrique. Mais un grand profiteur.
Le narratif poutinien est loin de la réalité. Partisan d’un monde sans colonialisme, le Russe mène pourtant une guerre colonialiste en Ukraine et sa conception de la souveraineté des Etats est à géométrie variable. Elle ne concerne pas ses voisins, son ex-empire.
Tout compte fait, le sommet de Saint-Pétersbourg ressemble plutôt à un échec pour Poutine.