C’était une belle histoire, celle d’un homme qui sauve 1268 personnes, des Tutsis et aussi des Hutus solidaires menacés par les extrémistes hutus. Souvenez-vous, nous sommes en avril 1994, le génocide commence suite à la mort du président rwandais -et de celui du Burundi voisin – dans leur avion abattu juste avant l’atterrissage à Kigali. Un homme, un Hutu de 40 ans, mariée à une Tutsie, prend la direction de l’Hôtel des Mille Collines, un des deux établissements de luxe de la capitale; il était manager de l’autre, l’Hôtel des Diplomates qui a dû fermer et la Sabena, compagnie aérienne belge, propriétaire des Milles Collines l’engage. Grâce à ses contacts, à des subterfuges, à sa force de conviction, il protège les centaines de personnes venues se réfugier dans les 113 chambres, les couloirs… Il s’appelle Paul Rusesabagina. A l’ Hôtel des Diplomates, il a payé nombre de tournées à des militaires et là, dans celui des Mille Collines, certains s’en souviennent et il peut empêcher le général Augustin Bizimungu, que le tribunal pénal pour le Rwanda condamnera à trente ans de prison, de commettre le pire. Au total, 1268 personnes lui devront la vie.
En 1996, Paul Rusesabagina part en exil en Belgique, pays dont il deviendra citoyen. Chauffeur de taxi, il raconte en 2002 son histoire à un passager, le réalisateur Terry George qui écoute avec attention cette belle histoire comme Hollywood les aime. En 2004, sort Hôtel Rwanda, tourné en Afrique du Sud sous la supervision de son héros. Sa compagnie de taxis vendue en 2005, il devient résident américain, écrit en 2006 sa biographie, traduite en plusieurs langues, « Un homme ordinaire ». On le voit aux côtés de plus grands acteurs, George Clooney, Matt Damon, Angelina Jolie, Bradd Pitt, Harrison Ford…. Le président Bush le décore de la médaille de la liberté, il reçoit des prix saluant le « Schindler africain ». Il est adulé, il faut être vu avec lui…
Personne ou presque ne fait attention à la projection du film à Kigali en présence du vainqueur tutsi, le président Kagame, mais en l’absence du héros. On comprend pourquoi en écoutant les commentaires dont le plus tendre ressemble à « il serait temps d’écrire l’histoire vraie ». Les sauvés, les rescapés ne retrouvent pas dans les images ce qu’ils ont vécu, le gentil les obligent à payer, à signer des reconnaissance de dettes, les affamant s’ils n’avaient pas d’argent, les obligeant à boire l’eau de la piscine. Profiteur, pas héros. Il fallait bien tout payer, rétorque-t-il. Le très contesté général Roméo Dallaire, Canadien à la tête des forces de l’Onu en avril 1994 dira que c’est à ses hommes et non à Rusesabagina que les 1268 doivent leur salut.
Piégé par un pasteur
Paul Rusesabagina n’en a cure, il milite pour les droits de l’homme, avertit avec George Clooney et Élie Wiesel du danger d’un autre génocide au Darfour et qualifie ceux qui parlent contre lui d’ « instrumentalisés par le régime ». Un régime qu’il critique de plus en plus, il accuse Kagame d’imposer sa loi en intimidant l’opposition. Bientôt il fonde un parti politique puis sa branche armée. Le temps passe, mais Kigali n’oublie pas. En novembre 2018, le procureur général du Rwanda adresse aux autorités belges un mandat d’arrêt international explicité par un document de 14 pages qui liste les accusations parmi lesquelles constitution d’un groupe armé illégal, terrorisme, meurtre, vol à main armée, incendie criminel, incitation à l’insurrection…
L’année précédente, l’ancien hôtelier a fait la connaissance à Bruxelles du pasteur Constantin Niyomwungere qui a créé son église protestante dans plusieurs pays de la région dont le Burundi où seront bientôt emprisonnés quelques-uns de ses hommes. Paul Rusesabagina aimerait que le pasteur l’accompagne à Bujumbura. Ils se mettent d’accord et le 27 août 2020, ils se retrouvent à Dubaï d’où ils s’envolent pour Bujumbura, mais c’est à Kigali que le Belgo-rwandais se réveille face aux agents du Rwanda Investigation Bureau (RIB). Le pasteur l’a piégé!
Son procès s’est ouvert ce matin. Le prévenu a cherché à faire valoir que la justice rwandaise n’était pas compétente pour juger un Belge. Le procureur Bonaventure Ruberwa lui a répondu qu’il n’avait jamais renoncé à sa citoyenneté rwandaise. En septembre, Paul Rusesabagina a admis avoir participé à la création d’un groupe rebelle. Il a, par contre, rejeté toute implication dans ses crimes
Le Parlement européen a demandé le 11 février une enquête internationale sur l’arrestation de Paul Rusesabagina et exigé, comme les Etats-Unis, la tenue d’un procès équitable. On entendra peut-être les quelques rescapés qui ne lui ont pas tourné le dos.