Par Abdeljelil Messaoudi
Le Musée Safia Farhat entame sa saison culturelle nouvelle sous les meilleurs auspices en donnant à voir une exposition de groupe comprenant 22 oeuvres signées d’autant d’artistes aux orientations et aux expériences aussi variées que différentes.
Empressons-nous de le dire: cette exposition vaut encore plus par l’idée principale qui la sous-tend que par la qualité des œuvres qu’elle réunit et qui, du reste, est de très bonne facture. L’idée, c’est de lancer un appel pour sauver cette planète qui se meurt chaque jour un peu plus. Et pour ce faire, les 22 artistes plasticiens réunis dans le Centre des arts vivants de Radès, un petit bijou d’architecture enveloppé dans un écrin de verdure, ont cherché et trouvé une bonne astuce: faire parler leur peinture. Ils sont allés chercher dans la tradition picturale ce genre artistique bien connu, savoir la Nature morte.
Née en Europe au 17ème siècle, la Nature morte a longtemps constitué une constante dans l’art de peindre, un exercice obligatoire pour les artistes les plus renommés.
Mais la Nature morte, est prise ici à la fois comme une prémonition et comme une « accroche actu » comme disent les journalistes. Plus simplement:les artistes réunis au Centre de Radès, utilisant les techniques et les ficelles de ce genre de peinture bien occidental, ont produit, chacun selon leur choix pictural et leur sensibilité propre, des œuvres qui crient leur détresse face la détérioration programmée de la nature, c’est-à-dire à dire du monde.
En inventant la Nature morte, les peintres avaient-il donc -déjà- compris et perçu la lente et inéluctable mise à mort de notre planète? Oui mais faut-il se résoudre à accepter cette mort? Telle est aujourd’hui la question.
Pour les artistes réunis autour de Aicha Filali la réponse est, bien entendu, non. C’est pourquoi, en prenant à contre-voie le genre pictural de la Nature morte, les artistes s’en trouvent face à la question qui tue:faut-il donc acter cette mort de la nature, la vraie nature cette fois, et l’enterrer?
À l’ image de dame nature, cette exposition est aussi variée que riche. Il y a la photo, l’acrylique, l’assemblage, l’huile, la gravure, le modelage, la résine…On s’arrêtera volontiers devant le « pommier » de ghada Chamma, une conjugaison de noir et de couleurs qui donne une double impression aérienne et maritime, ou « oued ellil », un terrible et bel assemblage choisi pour l’affiche de l’exposition et qui résume à lui seul l’esprit de la fin d’un monde dont il ne reste que quelques têtes réduites et des grenades non explosées.
On s’arrêtera devant « Nature morte » justement de Nabil Souabi qui rappelle par ses éléments picturaux, leur disposition et leurs couleurs qui rappellent les premières œuvres des peintres surréalistes. On admirera la quantité et la qualité du travail de mohamed ben slama porté par son œuvre »oumuamua reviens! ». On s’arrêtera encore, bien entendu, devant les”Napperons et homoplates » de Aicha Filali, une œuvre déroutante par sa patience artisanale et sa passion artistique et qui tout en rappelant les jouets de l’enfance, suscite une franche angoisse vis-à-vis de la légèreté des adultes face aux dangers qu’ils font peser sur la nature.
Quand on a fait le tour des œuvres exposées et que l’on s’arrache à la tourbillonnante impression des couleurs et des formes, et que l’on se trouve à accroché à ce sentiment de peur que fait naître la sombre perspective de la mort programmée de notre belle nature, on se dit heureusement il y a l’art, et l’on se rappelle Dostoievski annonçant que « la beauté sauvera le monde ».
Une belle exposition qui met les 22 artistes participants à la pointe d’un combat universel, celui de l’environnement, auquel nos autres artistes et hommes de la culture semblent bizarrement quasi-indifférents. Rien que pour cela, pour avoir impliqué ses amis artistes dans ce grand débat de ce monde, Aicha Filali mérite un grand coup de chapeau. Artiste-peintre, écrivain, agitatrice d’idées, ce bout de femme qui a de qui tenir (elle est la nièce de Safia Farhat) possède des mains magiques qui transforment tout ce qu’elles touchent en or. On se se souvient de sa belle exposition il y a deux ans à la Marsa qui avait fait date.
Les artistes participants:
Amara Rachida, Ayed Abdessalem, Ben Farhat Kais, Ben Slama Mohamed, Boukadi Nader, Chamma Ghada, Djebby Héla, Elkamel Slimen, Filali Aicha, Ghassan Mohamed, Ghzaiel Amna, Gomri Slim, Hajsassi Adnene, Inoubli Amine, Jelassi Nadia, Karabibane Halim, Karray Raouf, Khiari Sadri, Moussa Hamza, Saad Insaf, Souabi Nabil, Souissi Douraid.