Il ne l’a évidemment pas cherché, mais il profite des circonstances. La guerre de Gaza et les souffrances du peuple palestinien lui permettent de réduire au minimum la célébration du centenaire de la Turquie qui devaient être grandiose. Les cérémonies de ce 29 octobre ont débuté ce samedi 28 par une gigantesque manifestation de solidarité avec les victimes d’Israël en présence de Recep Tayyip Erdogan. Une manière d’occuper le terrain, de ne pas laisser la place à Mustapha Kemal Atatürk qui devait être la vedette de ce centenaire.
Il sera célébré comme il se doit, affirme la présidence, le gouvernement et l’AKP, mais en réalité, le souvenir du « père de la nation » ne sera pas au centre de ces prochaines journées. Le vrai héros turc doit être Erdogan, la Turquie ne doit pas fêter son premier siècle d’existence mais le début d’un nouveau siècle, d’une nouvelle ère.
« Nous avons accompli en vingt ans le travail d’un siècle » souligne la propagande officielle et des expositions célèbrent l’œuvre d’Erdogan, le siècle de la force, de la défense, de la science, de l’énergie, de l’infrastructure.
Le reis reconnaît et salue le rôle de combattant de Mustapha Kemal qui a gagné la guerre d’indépendance, mais il rejette ses orientations, surtout et totalement la laïcité. Cependant, et même si Erdogan a traité Mustapha Kemal d’ « ivrogne » – il est mort d’une cirrhose du foie-, les deux hommes présentent bien des points communs : nationalisme, autoritarisme, rejet des minorités. Une ambition commune aussi, celle d’une Turquie forte, autonome et respectée.
Aujourd’hui, la République de celui qui se pose en nouvel Atatürk est religieuse, elle veut former des « générations pieuses » pour devenir un leader du monde musulman, un protecteur de tous les sunnites. Conquérant, Erdogan ne rêve plus de la Mecque ottomane, mais veut rivaliser avec l’Arabie Saoudite et étendre son influence. Soucieux avant tout de marquer l’histoire, il rêve d’empire et se voit en médiateur, en faiseur de paix. Membre de l’Otan, il reste proche de Moscou. Véritable animal politique, il se sert de la position géopolitique et n’hésite pas, parfois en maître-chanteur, à en abuser. Selon ses intérêts, il change d’avis. Conservateur libéral il y a vingt ans, il est maintenant nationaliste islamique. La démocratie parlementaire qu’il vit promise s’est muée en régime hyper présidentiel. Sa politique économique a plongé ses concitoyens dans la pauvreté. Sauf les bons amis du pouvoirsIl souhaite une deuxième République et songe à une nouvelle constitution qui affirmerait le droit pour les femmes de porter le voile, que la famille est le fondement de la société et que le mariage ne se conçoit qu’entre un homme et une femme. Pour la faire adopter par référendum, le reis, autant détesté qu’aimé, doit encore gagner en popularité.
En août, un sondage indiquait que pour 60% des Turcs dont 46% des membres de l’AKP estimaient que la figure historique la plus aimée du pays était Mustapha Kemal et 73% jugeaient que ses valeurs étaient toujours pertinentes aujourd’hui.
On comprend pourquoi Erdogan veut lui ravir la vedette.