Par Abdeljelil Messaoudi
Par son discours de vendredi-soir, le Président Kais Saied a, manifestement, voulu d’abord mettre fin à la polémique créée au Parlement autour du projet de loi de criminaliser la normalisation avec Israël ».
Voilà une semaine, en effet, que cette polémique enflait sur la possibilité de faire l’impasse sur ce projet, faisant craindre un débordement du cadre du débat parlementaire. Sous la pression des attaques ininterrompues de l’armée israélienne semant mort et destruction, et faisant passer Gaza d’une prison à ciel ouvert à une boucherie à ciel ouvert, selon l’expression d’un journaliste britannique, nombreux députés étaient montés au créneau pour réclamer de soumettre au vote le projet de la loi en question, sans plus attendre. La crainte de ces députés était justifiée, puisque jeudi après-midi, le Président du Parlement, Brahim Bouderbala, annonçait depuis le perchoir de l’Assemblée le rejet du Président Saied dudit projet de loi, jugée contraire aux intérêts du pays. L’annonce a eu pour effet immédiat de diviser les députés en deux groupes opposés:d’un côté ceux qui voulaient voir aboutir sans tarder le projet de la loi criminalisante, de l’autre, ceux qui préféreraient freiner. La situation devenait menaçante.
Vendredi, donc, le Président Saied mettait son ton le plus solennel pour rappeler aux
uns et aux autres que la question palestinienne était et demeure sa priorité, voire sa question personnelle et que, par conséquent, personne n’était en droit d’enchérir sur lui dans le domaine. Les esprits semblent se calmer depuis.
N’empêche. Au delà du discours présidentiel aux allures d’un rappel à l’ordre, nombreuses questions importantes restent aujourd’hui posées.
Comment en sommes-nous arrivés à opter pour une solution aussi radicale que celle de vouloir criminaliser une improbable normalisation, alors que la force de notre attachement à la cause palestinienne empêche naturellement toute complaisance et toute compromission? Ceux qui parmi les députés qui demeurent sur cette ligne de rupture par l’usage de la loi, ont-ils pesé le pour et le contre, ont-ils évalué l’impact d’une telle loi aussi bien sur les palestiniens que sur nous-mêmes? Ne risque t-on pas de se trouver par une telle loi incriminante isolée de la communauté arabe voire mondiale?
On dit que la diplomatie d’un pays est son meilleur agent de développement. La Tunisie a mis du temps et de la patience à construire une diplomatie nationale en s’appuyant sur une constante principale: la modération. C’est cette modération qui a valu à notre pays d’être perçue à travers le monde comme responsable, prévisible et transparente. C’est aussi cette modération qui lui a permis d’être d’être écouté et respecté, en ayant une parole forte et crédible.
La modération qui est l’essence de notre culture arabo-musulmane n’est pas, comme pourraient croire certains, aujourd’hui attirés par les sirènes du populisme, une preuve de faiblesse. C’est, au contraire, une manifestation de force et de confiance en soi.
Et finalement, la seule question qui mérite d’être posée: quel intérêt avons-nous à criminaliser des rapports qui n’existent pas, alors que déjà, et comme l’a indiqué le Président Saied, l’article 60 de la Constitution suffirait largement. Même s’il faut, au besoin, le muscler?