Lundi matin, tous les journaux vantaient la « démocratie » au lendemain de la défaite historique de l’AKP, le parti de la justice et du développement. « Demokrasi » aussi dans les mots du président Erdogan qui reconnaissait sa défaite en affirmant sa détermination à « respecter la décision de la nation ». Certes, mais on peut légitimement s’interroger au vu de son parcours. Recep Tayyip Erdogan n’a pas encore atteint tous ses objectifs et n’est pas connu pour abandonner en route…
« Les électeurs ont choisi de changer le visage de la Turquie ». « C’est un message clair à ceux qui dirigent le pays » se réjouissent des dirigeants de l’opposition. Pas si évident que ça. Les Turcs ont d’abord voté contre les promesses non tenues, les difficultés croissantes de la vie quotidienne, l’inflation qui ruine leur pouvoir d’achat. Et, plus que d’habitude, ils se sont abstenus. Le résultat traduit plus une lassitude qu’une opposition franche au reis qui, en vingt ans, a sensiblement modifié l’image du pays. Le pouvoir a conservé ses bastions.
Aujourd’hui comme hier, la Turquie reste majoritairement conservatrice et islamiste. Si le CHP est devenu le premier parti (37,74%) des suffrages devant l’AKP ( 35,49), le parti présidentiel et ses alliés, sauf défections improbables à ce stade, tiennent toujours le Parlement élu l’an dernier. L’opposition va se prévaloir de sa victoire pour tenter de faire bouger les lignes, d’imposer d’autres politiques, mais il est trop tôt pour préjuger des intentions d’Erdogan.
Depuis qu’il est arrivé au pouvoir, le reis rêve d’un pays aux allures d’empire. Il ambitionne de dépasser Mustapha Kemal, d’être reconnu comme le « père » d’une nouvelle Turquie surpassant celle de son prédécesseur. Comment va-t-il gérer sa débâcle ? Il pense moins à la vie, au bien être de ses concitoyens qu’à la grandeur de « sa » Turquie. Il la veut une puissance régionale, voire mondiale, au plan diplomatique et militaire. Elle doit jouer dans le top 10 des nations et ne dépendre d’aucune alliance, d’aucune vassalité. Une ambition qui lui a fait oublier les contingences du quotidien. Que les électeurs lui ont donc rappelé.
Erdogan a théoriquement quatre ans de pouvoir devant lui. Poursuivre une sorte de fuite en avant pour laisser sa marque dans l’histoire ou freiner pour vraiment tirer les leçons de sa défaite. Marqué physiquement, en butte à des problèmes de santé, le dirigeant de 70 ans pourrait être tenté de céder, mais il n’a préparé aucun dauphin à sa succession. Avec ou sans lui, la Turquie est, comme il le reconnait, face à un « tournant ».