Avec une régularité métronomique, Aicha Filali vient solliciter notre notre attention par des expositions aussi originales que captivantes et instructives. Elle est à la fois l’animatrice, la directrice et la gardienne du somptueux espace qu’est Le Musée Safia Farhat, l’une des devancière du mouvement artistique en Tunisie dont on célèbre cette année le centenaire de la naissance et, petit détail, qui se trouve être sa tante maternelle. Ce qui lui permet, étant elle-même enseignante et praticienne d’art, d’en revendiquer la mémoire.
« La mémoire », avez-vous dit? C’est justement le thème de cette exposition. Plus exactement: « la mémoire, un continent ». Vaste programme. Mais les 21 artistes y participant, ont su apporter chacun leur contribution et participer la mise en forme d’un ensemble artistique qui, sans céder aux pièges et détours qu’aurait posés a priori un thème aussi complexe, ont donné matière à voir, à réfléchir et même à apprécier.
L’homme est mémoire, donc l’art aussi. Déjà, y a-t-il comme un avertissement dans ce constat pour tous ceux qui seraient tentés de voir, un jour proche,l’art se produire de lui-même. Car il manquerait toujours cet élément qu’est cette passion (au sens de souffrance) qui donne vie et sens aux choses apprises, voulues ou que l’on croyait avoir oubliées. Cela s’appelle la nostalgie, ce doux poison sans lequel, point de passé et donc point d’avenir. C’est sur idée-là que joue Aicha Filali, si malicieusement d’ailleurs, en opérant une approche vers ce qui représente peut-être le mieux la fragilité de la mémoire, sa grandeur et sa vanité. En travaillant à transformer des vieux mouchoirs en tissus en suaires portant l’empreinte à la fois précise et indistincte, de visages accrochés comme des trophées à l’arbre du temps, elle a tout résumé sur le pouvoir impossible de l’art pris entre le corps qui fléchit et la mémoire qui flanche, de « garder la réalité ».
Bien entendu, avec un tel choix thématique, on ne peut s’attendre à voir particulièrement du beau, au sens d’esthétique et de plaisant. Et les 21 artistes semblent tous se compléter tant dans le même effort de reflexion sur leur propre travail individuel, que dans leur tentative de saisir le rapport de l’art à la mémoire-ou aux mémoires. Un jeu de cache-cache et de miroirs entre ce l’on montre et ce que l’on essaie de cacher ou de camoufler, entre ce que l’on croit maîtriser et ce qui nous échappe. La mémoire aussi a ses raisons que la raison ignore
Ce souci d’intelligence qui traverse l’exposition lui donne une allure d’ensemble d’études de recherches. N’empêche qu’il y a des œuvres qui « plaisent ». Celle du[le] radeau de la fourmi de Lamine Sassi avec ses petits riens rupestres et petillants. Celle de Samir Makhlouf pleine et organique. Celle de Maher Maoui représentant Aboul kacem Chebbi dans une vision inattendue, réduisant le chantre de la volonté de vivre à une ombre qui passe.
Dans la catégorie du travail sur des éléments en dur, l’œuvre de Nadia Jelassi séduit par son intelligence et sa finesse, celle de Slimen El Kamel par son audace et sa finition, celle de Adnene Hajsassi par sa fidélité aussi bien à l’expression qu’au moyen de cette expression.
Il y a à voir dans cette exposition à laquelle participent les artistes: Abdessalem Ayed, Omar Bsaies, Hela Djebby, Wissem Elabed, Slimene Elkamel, Aicha Filali, Emna Ghezaiel, Slim Gomri, Adnene Hajsassi, Mohamed Amine Hammouda, Besma Hlel, Amine Inoubli, Nadia Jelassi, Raouf Karray, Maher Maoui, Samir Makhlou, Souheil Nachi, Insaf Saada, Nabil Souabi, Lamine Sassi, Najah Zarbout.
Allez-y. C’est jusqu’au 15 juin.