Emprisonnés depuis des dizaines d’années dans « l’abattoir humain » de Sednaya, des détenus libérés pensaient avoir bénéficié d’une grâce accordée par Hafez Al-Assad. Ils ignoraient que son fils Bachar était au pouvoir depuis l’an 2000 et qu’il venait de tomber face à des groupes rebelles. Où est-il ? En début d’après-midi, ce dimanche, on n’en savait rien. Des sources syriennes parlent de crash de son avion, peut-être abattu…
A Moscou, on se contente de dire qu’après des négociations pour une transition pacifique du pouvoir, Bachar Al-Assad a démissionné et quitté le pays. A Téhéran, l’autre parrain dont l’ambassade a été saccagée, on indique que la politique vis-à-vis de Damas est « susceptible » de changer. Ailleurs dans le monde, c’est plutôt la surprise et le soulagement.
« L’Etat de barbarie est tombé » se réjouit le président français et Paris souhaite une marche vers l’unité. Berlin accueille une bonne nouvelle tout en craignant l’arrivée d’ « autres radicaux ». A Washington, Biden suit les « événements extraordinaires » que son successeur Trump analyse ainsi : « La Russie dirigée par Vladimir Poutine n’avait plus envie de le protéger (Assad). La Russie et l’Iran sont affaiblis, la première à cause de la guerre en Ukraine et une mauvaise économie, la deuxième à cause d’Israël et de ses succès militaires ». La Chine se contente de souhaiter que la Syrie retrouve la stabilité et les Emirats qu’elle évite le chaos. Comme le dit l’émissaire de l’ONU, Geir Pedersen, le pays tenu pendant plus de cinquante ans par les Assad vit « un moment décisif ».
Depuis l’intervention russe de 2015 et le soutien iranien par l’intermédiaire du Hezbollah libanais, on avait voulu croire que le régime népotique de Bachar était stabilisé et que son retour en 2023 au sein de la Ligue arabe qui l’avait chassée en 2011 consacrait la normalisation. Fausse impression. Le régime ne pratiquait aucune ouverture et tous les projets économiques capotaient car ils étaient accaparés par les moukharabat, ce que refusait l’Arabie Saoudite et les Emirats. Et Damas ne renonçait pas à sa « richesse », le captagon qui en faisait un narco-Etat. De plus, les militaires, peu équipés et sous-payés n’étaient pas prêts à donner leur vie pour le président. La Syrie réelle était un pays exsangue, ruiné dans lequel 80% de la population vit au-dessous du seuil de pauvreté.
D’où une multitude de questions, d’inconnues. En voici quelques-unes : qui va prendre le pouvoir, comment sera-t-il partagé entre les groupes qui n’ont pas forcément les mêmes buts politiques ? L’homme fort, Mohammed Al Joulani, qui a repris son nom Ahmed Hussein al-Chara, est présenté comme un politicien pragmatique, mais il est fondamentalement islamiste rigoriste et conservateur. Comment redresser un Etat failli, quel accompagnement international ? Quelle va être l’attitude de la Russie qui veut conserver ses positions à Tartous et Lattaquié en région alaouite ? Des Etats-Unis qui ont toujours 900 soldats sur place ? Al Joulani a passé de longs mois en Irak, dans le camp Bucca, berceau de Daech. Que va demander, imposer Erdogan ? Il aura son mot à dire sur la politique de Damas et éloigner les Kurdes de sa frontière, de leur Rojava. Comment assurer le retour de six à sept millions d’exilés dans un pays décomposé et pas forcément proches des futurs dirigeants ? La Syrie va-t-elle devenir une nouvelle Libye, un pays fragmenté ?
Espoir, méfiance, prudence…