Dès son arrivée à l’Élysée, Emmanuel Macron a cherché l’apaisement avec le Rwanda. En mai 2018, il a reçu, avec les honneurs, Paul Kagamé puis a favorisé , en octobre de la même année, l’élection de Louise Mushikiwabo au secrétariat général de la Francophonie. Une amélioration lente. Avec Emmanuel Macron, nous pouvons faire des progrès » reconnaissait le président rwandais; « il ne faut en aucun cas sous-estimer les difficultés du passé. Nous n’allons pas tout normaliser du jour au lendemain. Mais nous avons la volonté de le faire ». répondait son homologue français.
Le rapport d’historiens sur le rôle de la France dans le génocide de 1994 au Rwanda constitue une nouvelle étape sur la voie de la réconciliation. Pour Paris, « la démarche de rapprochement pourra être envisagée de manière irréversible » et un ambassadeur -il n’y en a plus depuis 2015- pourra rejoindre dans les prochains mois l’ambassade de Kigali. Le gouvernement de Paul Kagamé se montre plus prudent: s’il considère qu’il s’agit d' »un pas important vers une compréhension mutuelle du rôle de la France dans le génocide des Tutsis, elle attend, dans les prochaines semaines, un rapport d’enquête qu’il a commandé en 2017 « dont les conclusions compléteront et enrichiront celles de la commission Duclert ». Kigali avait déjà publié un rapport sur le sujet en 2008, le rapport Mucyo, qui concluait que Paris avait joué une part active dans la préparation et l’exécution du génocide contre les Tutsis.
Le rapport Duclert, remis vendredi à l’Élysée, souligne clairement que la France a « failli » et qu’au plan politique, elle porte des responsabilités « lourdes et accablantes » mais qu’il n’y a pas de « complicité » de génocide. On peut cependant parler de responsabilité morale. François Mitterrand et des proches choisis par lui, notamment son état-major particulier, ont conduit les actions de la France au Rwanda sans tenir compte d’avis opposés et des alertes. Ils ont été aveuglés par une « vision ethniciste » issue de la colonisation belge et des pères blancs qui avaient instauré des cartes d’identité ethniques et semé les germes de la division mortelle. Un souci également de ne pas laisser le pays tomber aux mains d’anglophones, d’ « ennemis » venus de l’Ouganda. François Mitterrand, les yeux fermés, voulait croire que son ami, le président Habyarimana, avait bien écouté son discours de La Baule en juin 1990 et guidait son pays vers la paix grâce aux accords d’Arusha. A La Baule, le président français avait précisé que la France n’intervenait pas dans les affaires intérieures des pays africains amis…
Le rapport Duclert présente au moins deux zones d’ombre qui touchent aux accords d’Arusha et à l’opération Turquoise
Quand son avion a été abattu, Habyarimana revenait de Tanzanie où les derniers obstacles sur la voie de la paix avaient été levés. L’attentat qui l’a tué le 6 avril 1994, en compagnie de son homologue burundais Cyprien Ntaryamira, a sans doute été commis par ses extrémistes hutus qui refusaient ces accords d’Arusha conclus en août 1993 qui prévoyaient l’intégration des Tutsis dans le gouvernement et dans l’armée ainsi que la fin de l’ opération Noroît menée par l’armée française pour soutenir le pouvoir. Si Juvénal Habyarimana n’avait pas été tué, quelle aurait été l’évolution de la situation? Certes, l’idée d’un génocide était dans l’air relayée avec haine par radio Mille Collines; certes les massacres avaient commencé… mais l’horreur aurait-elle atteint un tel niveau?
Des documents ont disparu, notamment ceux de l »état major particulier du président, d’autres n’ont pu être consulté par les historiens et la commission n’a pas faire toute la lumière sur Turquoise, l’opération qui devait stopper le génocide. L’armée française mandatée par l’Onu a sauvé des milliers de vies, mais aurait-elle pu faire mieux? Et elle a exfiltré, sur ordre de Paris, des génocidaires, elle a continué à leur livrer des armes. Pour Paris, il y avait un « double » génocide -qui en réalité n’a jamais eu lieu – et il fallait bien armer les Hutus pour résister aux Tutsis…. Aujourd’hui, au lendemain de la remise du rapport des historiens, d’anciens officiers se divisent sur l’action de Turquoise…