Tunis est une ville siamoise. La capitale tunisienne juxtapose en effet deux villes: l’une d’inspiration arabo-musulmane est née à la fin du septième siècle; l’autre, édifiée au tournant du vingtième siècle, est d’origine européenne, essentiellement française. Ainsi, comme la plupart des villes du pays, elle est à la confluence de différentes cultures, logiques urbaines et styles architecturaux.
Dès le milieu du dix-neuvième siècle, les voyageurs arrivant à Tunis, avouent leur surprise en entrant dans la ville. De fait, les récits d’époque soulignent que, derrière ses puissants remparts, la ville avait développé un « quartier franc » au sein duquel vivaient les communautés européennes. Là où les voyageurs attendaient palais orientaux et labyrinthe de ruelles, ils se retrouvaient dans un embryon de ville moderne, avec ses maisons de maître, son église et son théâtre. Duelle, la ville le deviendra véritablement quelques années plus tard, lorsque de nouveaux quartiers, conçus en damier, s’élèveront hors les murs, entre la médina et le port.
La médina, une matrice immémoriale
Immémoriale, la médina de Tunis a été bâtie sur une colline protégée par deux lacs. Les conquérants arabes avaient alors utilisé les ruines de Carthage comme une vaste carrière dont ils avaient extrait les matériaux nécessaires à la construction de la nouvelle cité. Au fil des siècles, la petite ville médiévale allait s’agrandir et aspirer au statut de capitale. Le rayonnement de ses mosquées, le raffinement de ses grandes demeures et son développement urbain bénéficieront des apports hafsides, andalous et ottomans. De nos jours, l’Association de sauvegarde de la médina de Tunis préserve cet héritage architectural, devenu aussi bien lieu de mémoire que source d’inspiration pour les Esthètes.
La médina de Tunis connaît en effet une véritable refondation. A l’image des « riads » marocains, les vieilles demeures tunisoises sont devenues une destination de prédilection et profitent pleinement du fait que cette médina de Tunis soit inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco. Depuis une vingtaine d’années, les chantiers de restauration ou de rénovation raisonnée se sont multipliés. Partant d’une matrice traditionnelle, les architectes contribuent à réinventer la ville. Derrière les façades austères, ils déploient des trésors d’ingéniosité pour instiller de la modernité dans le classique. Ce sont ainsi des architectes d’intérieur qui repensent les espaces, adaptent les structures anciennes aux besoins contemporains et font évoluer la destination des grandes demeures patriciennes vers de nouvelles fonctions urbaines.
Les anciennes maisons, jadis repliées sur elles-mêmes, deviennent de nouveaux îlots de convivialité. Par exemple, une vague d’hôtels de charme a vu le jour dans ce sillage. Le Dar Bayram a pris les traits d’une maison d’hôtes des plus prisées alors que Dar El Jeld accueille désormais un restaurant de référence. De Dar Belhouane à Dar Bouderbala, les nouvelles réalisations s’imposent, avec des galeries d’art ou des résidences de charme. Cette tendance au retour vers la médina s’est récemment accélérée et concerne désormais d’anciens caravansérails et d’autres édifices merveilleusement restaurés. Les jeunes couples tunisiens et la communauté expatriée sont souvent en quête de la pépite de rêve qui leur ouvrira les portes de la médina. Souvent, il est fait appel aux architectes en vogue qui ont signé nombre de projets devenus exemplaires. Ces derniers conjuguent leur expertise à un savoir-faire ancré dans les cultures locales. Ils sauront transfigurer un lieu abandonné, lui donner un nouveau destin et le projeter dans le nouveau siècle. A ce titre, on ne compte plus les réalisations de facture contemporaine qui sont devenues la nouvelle fierté de la médina.
Arabisances, Art Nouveau et Art Déco
De l’autre côté de la ville, la polémique fait rage depuis plusieurs mois. Architectes, urbanistes et décideurs s’interpellent à propos des immeubles menaçant ruine. Ces édifices, essentiellement hérités de la période du Protectorat français, sont en effet peu entretenus mais n’en restent pas moins des bijoux architecturaux qu’il convient de protéger. Alors que les autorités envisagent de raser des îlots entiers, les urbanistes s’inquiètent à juste titre et conseillent une politique de réhabilitation.
Cette ville européenne de Tunis a été élevée sur des terrains gagnés sur les marécages qui entouraient la médina. C’est l’actuelle ambassade de France qui a été le premier édifice construit ici en 1860. Depuis, l’espace a été loti et a connu une progression continue vers le nord de la ville et la colline du Belvédère. Pendant un siècle, immeubles, villas et bâtiments publics se sont déployés autour de l’axe historique qui mène au port. Cette avenue principale de Tunis porte successivement les noms de Jules Ferry puis de Habib Bourguiba, premier président de la République tunisienne. L’ensemble du centre-ville est commandé par cette grande artère qui rassemble des constructions de plusieurs époques.
Tunis se prête en effet aux promenades architecturales et la ville regorge de témoignages Art Nouveau ou Art Déco. Depuis le début du vingtième siècle, des architectes français comme Jean-Émile Resplandy ont par exemple disséminé quelques édifices Art Nouveau dans une ville qui connaîtra également un style dénommé Arabisances et une vague architecturale moderniste, née après la Deuxième Guerre mondiale. De même, les architectes Reconstruction signeront de nombreux ouvrages dans une ville en perpétuel mouvement.
Aujourd’hui, des édifices comme la tour de l’hôtel Africa ou la pyramide inversée de l’hôtel du Lac comptent parmi les derniers témoins des tendances architecturales des années 1960. Ils cohabitent avec l’héritage d’un siècle visionnaire et les rares monuments classés que constituent le Théâtre municipal, la Trésorerie générale et quelques autres. Dans cette partie de la ville, il existe aussi plusieurs façades d’immeubles qui sont protégées, en attendant des approches plus systématiques en matière de conservation. De manière récurrente, des nouvelles alarmistes font part de la volonté des autorités de lancer de nouveaux projets immobiliers dans cette vaste zone au cœur de la ville. Cela reviendrait à détruire un pan entier de l’histoire de la capitale tunisienne au profit de bâtiments neufs qui, souvent, se contentent d’être fonctionnels à défaut de beauté plastique. En ce sens, plusieurs immeubles de rapport sont venus supplanter d’anciennes demeures ou des cités d’habitation à loyer modéré datant des années 1920. Si la rénovation urbaine est somme toute logique, reste aux nouveaux édifices de répondre à une esthétique qui préserve le charme de la ville.
Bien entendu, plusieurs rénovations à l’ancienne ont cours qui, tout en gardant l’unité architecturale héritée, donnent le jour à de nouveaux immeubles. Cette démarche a le loisir de laisser à Tunis son caractère exceptionnel de musée architectural vivant des plus importantes tendances du vingtième siècle. Beaucoup reste à faire dans ce domaine afin de sauvegarder ce cachet parfois déroutant qui fait de la ville un creuset d’influences architecturales, un patchwork qui métisse réminiscences orientalistes et rêveries futuristes.