Pour les médias, les rétrospectives sont, en cette fin d’année, des passages obligés, des « marronniers » : quelles personnalités, quels événements ont marqué les douze derniers mois ? Une réponse simple et mondiale s’impose : le covid, que l’on espérait en voie de disparition, a continué de frapper fort avec en vedette Delta et cet Omicron qui voudrait s’incruster en 2022. On peut donc encore rendre un hommage aux chercheurs allemands d’origine turque Ugur Sahin et Ozlem Turici, son épouse, qui ont mis au point le vaccin Pfizer et à ceux qui leur ont tracé la voie, le Français François Jacob, prix Nobel de médecine 1965, découvreur de l’ARN messager en 1961, la Hongroise Katalin Kariko, biochimiste de la technique ARN et l’Américain Robert Malone, pionnier de la vaccination à ARN messager.
Pour ma part, je ne retiens aucune personnalité qui ait éclairé notre monde d’une manière particulière. Time a élu Elon Musk, le milliardaire de Tesla et de SpaceX qui donne un nouvel élan à la conquête spatiale, fait rêver de Mars et de planètes habitées. Maroc Hebdo a choisi Omar Hilale, l’ambassadeur de Rabat à l’ONU dont les déclarations sur la Kabylie ont relancé l’affrontement algéro-marocain. Chacun peut voir midi à sa porte et sélectionner sa personnalité marquante en fonction de ses centres d’intérêt, un artiste, un sportif, un proche…
On peut cependant établir une sorte de tableau d’honneur, rédiger un livret scolaire. Celui des talibans qui ont repris le pouvoir en août en Afghanistan est rempli d’appréciations plus négatives les uns que les autres : brutaux, violents, rétrogrades, menteurs, malfaisants, sournois, rancuniers, nuisibles, criminels… Leur dernier méfait : « Les femmes voyageant plus de 45 miles [72 kilomètres] ne peuvent pas faire le trajet si elles ne sont pas accompagnées par un membre proche de la famille ». Une décision du ministère de la promotion de la vertu et de la prévention du vice qui recommande aussi aux conducteurs à n’accepter des femmes à bord de leur véhicule que si elles portent le « voile islamique ».
En poste depuis janvier, Joe Biden espérait une année pleine dans une Amérique renaissante après « l’affreux » Trump. Mais on a vu Joe l’empêché, Joe le frustré. Il n’a pas vraiment marqué de point face à Poutine et Xi Jinping, a fait douter de lui ses alliés européens et un élu démocrate refuse de voter son « Build Back Better ». Une présidence mise en difficulté par Joe Manchin, le sénateur de Virginie Occidentale, « ami du charbon », dont la voix bloque le président… Élève perturbateur, peut-on écrire sur le bulletin de ce démocrate le plus conservateur des Etats-Unis…
Le mentionner serait lui faire trop d’honneur, mais Donald Trump mérite un accessit, celui de l’entêtement. Il est toujours persuadé qu’on lui a volé la victoire et, mardi, a annoncé qu’il tiendra une conférence des presse le 6 janvier, date anniversaire de l’assaut du Capitole, en précisant ; « souvenez-vous que l’insurrection a eu lieu le 3 novembre », le jour du vote.
Vladimir Poutine peut se voir décerner le prix du revanchard de l’année. Trente ans que l’URSS a disparu, plus de 20 ans qu’il est à la poursuite de la grandeur perdue de l’empire soviétique. Vendredi, Gorbatchev a expliqué et accusé « l’arrogance » américaine : « Ça leur est monté à la tête, l’arrogance, l’autosatisfaction, ils se sont proclamés vainqueurs dans la Guerre froide alors qu’on avait ensemble sauvé le monde de la confrontation. Comment peut-on espérer des relations d’équité avec les États-Unis, avec l’Occident dans cette situation?» Il a retiré 10 000 hommes de la frontière avec l’Ukraine -il en reste 90 000 -, un geste de bonne volonté avant des pourparlers avec les Etats-Unis en janvier, mais il maintient toutes ses exigences, pas d’Otan à sa frontière. D’ailleurs, ces discussions annoncées ne figuraient pas au calendrier américain. Un prix de la surprise…
Sur le livret de Xi Jinping est inscrite une mention spéciale : il s’est hissé au rang de nouveau héros chinois aux côté de Mao Tsé-toung et Deng Xiaoping. Un règne qu’il veut sans limite. Son dernier exploit : il a fait supprimer sur Amazon les mauvaises critiques de ses livres, des pensées qui s’imposent à tous ses sujets qui les méditent dès la maternelle.
Le Britannique Boris Johnson, récent papa d’un septième enfant, son aînée a 28 ans, mérite une mention particulière : fantasque, éjectable. Il ne s’est jamais conduit comme les autres, brise régulièrement les règles mais ses frasques et mensonges le rattrapent et le placent aujourd’hui sur un siège éjectable. Élément doué, mais risque d’aller trop loin.
Le prix de la durée revient à l’Allemande Angela Merkel. Après 5860 jours de mandat -dix de moins que Helmut Kohl- elle a quitté le 8 décembre la chancellerie qu’elle a placé plus à droite. Elle va se reposer, lire, faire des randonnées… Et entendre bien des critiques sur son immobilisme, sur les inégalités et difficultés sociales qu’elle laisse…
Une place pour le sphinx
Comme l’a rappelé le 25 décembre, jour de Noël, le pape François, 2021 restera une année terrible avec une longue liste de conflits, de catastrophes qu’il est inutile de rappeler ici, sauf ce pays le plus oublié que le souverain pontife a pourtant visité en 2019, Madagascar. Le sud de l’île vit une famine dramatique due plus à la pauvreté et aux variables naturelles qu’au changement climatique.
La reine Elizabeth II figure forcément au tableau d’honneur : 95 ans, 73 ans de mariage, 70 ans de règne en février prochain. Elle a connu une année difficile en raison de la mort du prince Philip et de sa grande fatigue. Dans son discours de Noël, diffusé hier après-midi, elle a eu des mots plus « humains », personnels, d’amour : « Bien que ce soit pour beaucoup de gens une période de grand bonheur et de gaieté, Noël peut être difficile pour ceux qui ont perdu des êtres chers. Cette année, je comprends particulièrement pourquoi ». Évoquant son époux, elle a cité « son sens du devoir, sa curiosité intellectuelle et sa capacité à s’amuser de toute situation ». « L’éclat espiègle et interrogateur (de ses yeux) était aussi brillant à la fin que lorsque j’ai posé les yeux sur lui pour la première fois », a-t-elle poursuivi. « Bien qu’il me manque, et manque à ma famille, je sais qu’il voudrait que nous profitions de Noël ».
Le palmarès ne serait pas complet s’il n’accordait pas une place à ce président-sphinx qu’est Kais Saïed. Nul n’est encore parvenu à le déchiffrer. On croit que, mais on n’en n’est pas sûr. Droit dans ses babouches, il met en garde contre des complots, des tentatives d’assassinats sans rien prouver. Les journalistes ne peuvent lui poser de questions… Un sphinx ne donne pas de réponse…