Dans le flot incessant d’informations que nous recevons chaque jour, voire chaque heure, nous causant ce trop-plein d’infos que les spécialistes désignent désormais comme une maladie appelée l’«infobésité » et qui affecte nos émotions et nous rend de plus en plus insensibles aussi bien aux malheurs des autres qu’aux bouleversements du monde, une nouvelle est passée et peut-être oubliée. Une nouvelle lourde et grave :la rupture des relations diplomatique entre l’Algérie et le Maroc.
C’est l’Algérie qui a décidé cette rupture, mais ç’aurait pu être le Maroc. C’est déjà arrivé, puisqu’en 1976, c’est Rabat qui rompt les relations pour dénoncer le soutien qu’Alger apporte au Polisario.
Certes, le Sahara Occidental constitue LE problème des relations entre les deux pays voisins, le nœud gordien. Mais il n’y a pas que cela. C’est une véritable incompatibilité entre les deux régimes politiques malgré les historiques et étroites relations entre les deux peuples voisins, qui a conduit à des relations difficiles oscillant, depuis 60 ans entre dégels et brouilles diplomatiques.
Aujourd’hui,et au-delà de cette nouvelle rupture qui laissera certainement des traces, c’est le rêve maghrébin qui vient de recevoir un coup terrible. L’estocade.
Le grand gâchis
Le Maghreb uni a bercé des générations successives de militants. Bien avant les indépendances, un noyau pour coordonner la lutte pour la libération entre les trois pays Maroc, Algérie et Tunisie est créé en 1927 au Caire. En 1958, et alors que l’Algérie est en pleine guerre pour recouvrer son indépendance, une réunion entre les chefs des mouvements nationaux se tient à Tanger dans le but d’entamer la création de l’Union du Maghreb Arabe regroupant en plus des trois pays, la Libye et La Mauritanie. Le traité constitutif de cette union sera signé le 17 février à Marrakech. L’UMA est née. Elle restera lettre morte.
Tout pourtant plaide pour le succès de cette UMA. L’Histoire, la langue, la culture et surtout la géographie dont on sait qu’elle est « l’élément permanent de l’Histoire ». La nécessité économique demande, en principe, cette union et le besoin de complémentarité l’impose.
Sur le papier l’UMA, c’est plus de 6 millions de km². C’est plus de 100 million d’habitants. C’est une position géostratégique importante. Dans la réalité l’UMA est une coquille vide. Son processus d’intégration est en panne depuis l’annonce de sa création et les échanges économiques sont parmi les plus faibles au monde. Politiquement l’UMA est forcément inaudible pour cause d’intérêts divergents entre ses membres. C’est dire le gâchis historique que représente cette organisation censée donner aux peuples occupant la rive sud de la Méditerranée les moyens économiques et politiques leur permettant de traiter avec les groupements internationaux, à commencer par l’Union Européenne qui se situe juste en face, à quelques nœuds marins.
Pourquoi donc les Maghrébins échouent-ils là où ou les Européens réussissent, et pourquoi ces derniers arrivent à transformer leurs crises en autant d’opportunités pour progresser, alors que chaque crise bilatérale dans la région maghrébine est l’occasion d’affaiblir l’UMA et d’affirmer son inutilité ?
C’est qu’en fait nous n’avons pas dépassé les querelles de nos pères et les petits égoismes locaux qui réduisent sans cesse nos projets en chimères. Le déficit démocratique fait à chaque fois le reste en empêchant les dirigeants politiques de voir plus loin que leur nez.
Trois leçons à tirer
Toujours est-il que la rupture qui vient d’intervenir dans les relations entre les deux plus grands pays maghrébins aura des répercussions qui vont bien au-delà de la région dont elle menace la stabilité déjà bien éprouvée par la situation libyenne. Elle aura un impact sur l’Union Africaine où les deux pays jouissent traditionnellement de partisans respectifs.
Mais cette nouvelle rupture des relations entre l’Algérie et le Maroc est surtout révélatrice des vérités suivantes :
Tout d’abord donne-t-elle l’éclatante preuve de la démission de l’intellectuel maghrébin et de l’abandon de son rôle d’« allumeur des réverbères des consciences » et d’intermédiaire entre le pouvoir et le peuple pour empêcher justement les ruptures et rouvrir les horizons. Alors que l’idée européenne a été une idée d’intellectuels européistes avant d’être celle des politiques, celle maghrébine est restée étrangère aux intellectuels et hommes de la culture qui sont restés soumis au pouvoir et toujours prêts à suivre.Aujourd’hui ils se taisent, ils n’y peuvent rien.
La seconde vérité est le déclin évident du concept de solidarité arabe et son évidente manifestation à travers l’impuissance de ses organes et instituions, en tête desquels La Ligue des Etats Arabes, qui prouve chaque jour davantage qu’elle est juste bonne à être rangée dans le rayon des vieilleries.
Enfin, la triste vérité de l’absence de grands leaders maghrébins ou dans la région arabe capables de faire entendre la voix de la raison et d’inverser une situation si couteuse et qui peut dégénérer à tout moment.
Dans le patrimoine musical andalou commun aux pays maghrébins qu’on appelle Malouf, il y a cette triste complainte que les amateurs de cet art affectionnent particulièrement et dont le refrain se termine par un « pleurons notre triste sort ».