Si vous êtes du côté de la Marsa, n’hésitez pas à aller jeter un coup d’œil sur l’exposition de Majida Mahfoudh, à la galerie de la librairie Mille feuilles.
Pardon, un coup d’oeil ne suffirait pas. Il faut y aller exprès et prendre le temps d’admirer ce travail de carmélites où la dimension spirituelle habille chaque fil des 21 pièces exposées.
Ancienne élève des beaux arts de Tunis, Majida sembe vouloir tout oublier pour recommencer à chaque fois à zéro, en remettant sur le métier tous les ouvrages de toutes les femmes kerkeniennes qui se se sont passé le précieux leg, de génération en génération. Le temps s’arrête d’ailleurs dans chacun des ouvrage que l’artiste a veillé à laisser libre de tout cadrage, et donc de toute limitation, voire de toute limite. Accrochées sans soin particulier apparant sur les murs de la galerie, fixées sur des tableaux, ou pendantes sur un fil, les tapisseries défient temps et espace pour raconter au travers d’une imagerie débordante de spontanéité, presque enfantine, le quotidien des Îles depuis les temps immémoriaux. Ce sont d’ailleurs les titres des ouvrages jetés sur une double feuille-on aurait pu faire mieux sur ce coup là- nous retiennent à la réalité kerkenienne de » Charfia », de « Retour du pêcheur », du « Kadroun » de « Swak ou Louban »… Sinon on se serait trouveé parti loin sur les terres inconnues des Amériques précolombiennes, au Pérou, ou au Mexique. Peut-être au Guatemala. En étant tellement kerkenienne, Majida a fini par devenir universelle.
En fait, la mer pour cette fière kerkenienne n’est forcément bleue. Elle a une couleur quasi-invariable entre une teinte grenade et un rouge violacé. Pas de bleu. Ça aurait été trop facile, et la mer recherchée par l’artiste et vite retrouvée, est une mer intérieure peuplée de femmes laborieuses, occupant leurs heures à tisser, à nouer les fils, à fixer des motifs. C’est donc la couleur d’une mer chaude, chaleureuse même, patiente et rassurante. Une mer maternelle, en somme.
Pour réaliser ses ouvrages, cependant, l’artiste s’inspire des gens de la mer bleue. Elle jette l’ancre dans les profondeurs mais travaille à la surface de l’eau. Des profondeurs, elle ramène des images enfouies dans la mémoire des l’Îles, qu’elle restitue sous la forme d’un récit aussi fidèle que romancé. C’est un journal intime en laine, peut-on croire. Dans la pratique, l’artiste tisse à trois niveaux. Elle réalise d’abord la base plate qu’elle orne de dessins préliminaires, sorte de gros motifs qui inspirent l’ouvrage. Elle ajoute ensuite une couche au tissu de la base issue de la même matière mais en orientant le dessin vers une expression plus large. Elle termine le tissage par un troisième niveau plus élaboré, avec un fil différent qui donne un autre relief à l’ouvrage dans son ensemble et une visibilité plurielle. Au final, l’artiste n’a pas changé de tissu, elle a changé de tissage. Et c’est beau.
Vous avez l’impression en passant d’un ouvrage à l’autre, que avez vu la même chose. Mais ce n’est qu’une impression. Majida présente une riche palette de couleurs, de formes, de détails, de vues…de vies. Il faut savoir regarder et la lumière finit par jaillir pour vous prendre dans son monde étrange et familier où chaque détail compte, où chaque fil peut vous ramener au trésors d’une mémoire millénaire, et où il n’est pas impossible de retrouver les influences d’un Gorgi ou même d’un Picasso.
Grande artiste, Majida l’est d’autant plus qu’elle est d’une modestie incomparable. Cela me rappelle les propos d’un illustre collègue au Journal La Presse, autrefois, qui disait que les vrais artistes sont ceux qui ne le disent pas. C’était feu Mohamed Mahfoudh , frère de l’artiste Majida.