Quelques milliers de migrants sont toujours, dans des conditions inhumaines, le long de la frontière entre le Belarus et la Pologne. Ils ont froid, ils ont faim et aucune autorité ne cherche à les secourir. « De la chair à barbelés », dit le spécialiste des migrations François Gemenne. Ce n’est pas une crise migratoire qui se joue en Podlachie, mais une crise politique montée de toutes pièces par le dictateur bélarusse soutenu par Vladimir Poutine. Au pouvoir depuis 1994, Alexandre Loukachenko ne tolère pas les accusations qui accompagnent sa réélection en août dernier, un scrutin truqué, ni les sanctions américaines et européennes qui ont suivi. L’homme qui n’hésite pas à détourner un avion pour arrêter un opposant, se sert de migrants en quête d’une vie meilleure, pour mettre la pression sur cette Union européenne qu’il déteste. Il les fait venir de Syrie, d’Irak, du Yémen, d’Afghanistan en leur délivrant des visas par le biais de son ambassade à Damas après un voyage en avion payé au prix fort, souvent au départ de Turquie -qui vient d’arrêter. Une fois à Minsk, ces migrants sont poussés vers la frontière polonaise et abandonnés sans possibilité de faire marche arrière. Des camions viennent même déverser des pierres et des gravats pour qu’ils les lancent sur les quelque 15 000 policiers, militaires et garde-frontières qui les empêchent de passer. Pourquoi la Pologne ? Le but de Loukachenko et de Poutine est de « faire mal » à l’Europe qui sanctionne, de jouer sur ses désunions et de les approfondir. Ils profitent des faiblesses de l’Union. Varsovie refuse la primauté du droit européen et aime surtout les aides financières, même si la population est majoritairement pro-européenne. Varsovie refuse d’accueillir des migrants et s’apprête à construire un mur malgré l’avis de la Commission de Bruxelles et, en violation du droit européen et international, reconduit à la frontière ceux qui arrivent à la franchir. Ses soldats brutalisent et peuvent tirer. Mais ses partenaires sont obligés de soutenir cette Pologne hors la loi. De quoi ravir Minsk et Moscou…
Vladimir Poutine est-il, comme certains le pensent, le commanditaire de cette instrumentalisation honteuse de la misère humaine, de cette exploitation sans scrupules d’êtres humains ? Sans doute pas, mais cette situation le sert et il laisse faire son allié qu’il souhaite de plus en plus dépendant de lui. Paradoxalement, Poutine est un peu l’otage de Loukachenko : si le dictateur est renversé, le Belarus se tournera vers l’Union européenne. Impossible pour le Kremlin. Et comme la Russie est aussi confrontée à des sanctions, tout est bon pour affaiblir et diviser les 27. De plus, la Pologne, opposée au Nord Stream 2 , se bat pour qu’il n’entre pas en service. Si l’on ajoute la Crimée, l’Ukraine et les manœuvres militaires en mer Noire, on comprend pourquoi le Kremlin, sans s’organiser directement, est derrière le dictateur bélarusse. Se défendant de toute responsabilité, Poutine se donne le beau rôle en prônant le dialogue. Discrètement, il a aussi fait savoir que son allié ne pourrait pas stopper les fournitures de gaz…