Un député, un ministre ou un président peuvent-ils ne pas pouvoir s’exprimer aisément, correctement dans leur langue nationale et ne pas y discourir?
Dans le dernier numéro du magazine français « Le point », une interview du Président Emanuel Macron expliquant son attachement à la langue de son pays, à l’écriture et à la littérature. « En France, dit-il, tout commence par les mots. Notre pays a ceci de singulier qu’il a été comme engendré par sa langue ».L’interview n’est pas anodine, même si elle parait volontairement un peu people ,un peu accrocheuse. Elle traduit l’engagement d’un jeune président à servir son pays tout en servant sa belle langue, renouant ainsi avec une tradition aujourd’hui quelque peu malmenée, celle des grands discours de la république qui ont ponctué son histoire.
C’est important qu’un député ou qu’un un ministre sache parler. Bien parler. Encore plus quand il s’agit d’un Président. Car ils parlent tous avec la légitimité et la grandeur que lueur donne la voix du peuple. Et le peuple veut que l’on lui restitue sa voix claire, authentique et belle.
La langue, disait le philosophe allemand Martin Heidegger, est la maison de l’être. Et comme dans sa maison, l’homme habite dans sa langue, pense crée avec des mots qui sont à la fois ses outils et ses gardiens.
L’homme existe, croit-ou ne croit pas- dans sa langue. Il rêve, fait l’expérience de l’esthétique, de l’amour , du bonheur. Et pour dire cela et l’exprimer il a besoin de la langue.
Peut-on construire une science, un savoir sans et en dehors d’une langue? Peut-on faire une bonne politique sans une bonne langue? Mais peut-on envisager une communauté ou une nation sans une langue?
Je suis personnellement la vie politique et j’espérais que la Révolution allait enfin nous libérer en nous offrant la possibilité de retrouver la langue, notre belle langue qui nous exprime, qui exprime nos rêves de jeune peuple assoiffé de liberté, de démocratie, de savoir et de progrès.
Quelle déception!
Non seulement cette belle langue attendue n’est pas venue, mais l’ancienne, celle taillée dans du vieux bois, a disparu. N’est-ce pas le comble de l’absurde qu’un peuple qui a inscrit sa langue dans le marbre de sa loi, se retrouve sans langue ?
Mais qui dit qu’on ne parle pas? Au contraire, on ne fait que ça à longueur de journée. Que dit-on? Rien.
Dans la jungle des télés et des radios privées qui ont poussé, à la faveur de la liberté offerte par la Révolution comme des champignons, élites comme simples citoyens, mais aussi les professionnels animateurs ou chroniqueurs prétendant éclairer le pauvre peuple, on s’adonne sans discontinuer à un charabia impossible. Ils y mêlent mots arabes classiques et expressions dialectales, parsemés de quelques vocables tirés de la langue de Voltaire. Mais personne n’y comprend rien à la fin, car ni l’adepte de l’arabe classique, ni l’attaché à l’usage du dialecte populaire, ni encore moins le francophone n’y trouvent chacun leur compte. Imaginer un député ou un ministre , voire un chef de gouvernement parler ce sabir indistinct. Que peut-il exprimer, expliquer, clarifier ou éclaircir avec une telle langue-si tant est que l’on puisse parler là d’une langue?
Et quand l’élite du pays fait volontairement usage d’une telle « langue, comment s’étonner après que la publicistes lui emboîte le pas ,que les artistes de cinéma ou de théâtre suivent le mouvement, et que tous les animateurs de télé ou de radio accompagnent?
En fait parler cette langue horriblement hybride, équivaudrait à un mauvais silence. Perdant son pouvoir d’exprimer les idées et les choses, la langue n’est alors qu’un simple bruit, inutile et dérangeant. Il est surtout le symptôme d’une panne d’idées, d’une absence de vision, et, donc, d’une inaptitude à gouverner. Rappelez-vous le vieux Boileau qui dans son art poétique disait:
« Ce qui se conçoit bien s’annonce clairement Et les mots pour le dire viennent aisément ».
Parler sa langue est un acte de souveraineté. Les autorités publiques doivent faire quelque chose. Sinon on finirait peut-être tous comme ce bossu dans Le nom de la rose d’Umberto Eco: brûlé sur l’échafaud pour avoir été incapable de parler et d’expliquer dans une langue claire son innocence du crime dont on l’accuse injustement.