Par Abdeljelil Messaoudi
Non, je n’ai pas honte à le dire: je suis francophile. J’aime la France, sa langue et sa culture. Sans doute que je n’y suis pas venu spontanément ou par un je ne sais quel heureux hasard. Mais par le plus sûr des chemins: l’école.
Comme tous ceux de ma génération, nous avons appris le français, cette belle langue aujourd’hui si malmenée y compris chez elle, et nous avons aussi appris par le français. Je dirais même que nous avons aussi découvert nos propre histoire et culture grâce à la connaissance du français.
C’était, il est vrai, une autre époque, et je ne peux m’empêcher, en y pensant, de déplorer nos jeunes générations dont on a négligé l’apprentissage de la langue française et qui, comme par une inévitable conséquence, méconnaissent leur propre langue, l’arabe. « Incultes lettrés », comme s’amuse à les qualifier un mien ami ayant officié pendant de longues décennies comme professeur de français à l’université de Tunis, et qui me fait remarquer à chaque fois qu’il en a l’occasion, que le progrès des études arabes a souvent coïncidé avec la connaissance de la langue française, et qu’il n’y a pas plus faux que de croire que l’abandon du français, ou de autre langue vivante, profite au progrès de notre langue arabe.
Mais là n’est pas l’objet de mon propos.
En fait c’est un sentiment d’écœurement que me pousse à écrire ces mots, face à ce scandale de cagnotte lancée par des gens de l’extrême droite française en soutien au policier qui a abattu à bout portant Naël Marzouk, le jeune garçon de 17 ans, pour avoir refusé d’obtempérer.
Mon écœurement est d’autant plus grand que cette cagnotte qui a déjà dépassé 1,5 million d’euros, à l’heure où j’écris ces lignes, a été initiée par un certain Jean Messiah, ancien porte-parole de l’extrême-droitiste Éric Zemmour.
Le sieur Messiah est lui-même un immigré d’origine égyptienne naturalisé français depuis seulement 30 ans. Houssam Boutrous, de son nom d’origine, qui ne rate aujourd’hui aucune occasion pour casser du citoyen français issu de l’immigration, a longtemps habité dans les banlieues. Il aurait donc pu être à la place du jeûne Naël face au policier flingueur pour lequel il lance la cagnotte.
L’histoire a de ces retournements!
Que va t-on faire de l’argent de cette cagnotte? Engager de bon avocats pour tenter de faire tirer d’affaire le policier incriminé? Pour assurer un bel avenir à sa famille? Pour entretenir la bienveillance d’une certaine presse à son égard?
Tout cela à la fois sans doute, et plus encore: cette cagnotte sert surtout à prouver la radicalisation d’une partie de la population française dans son rejet d’une autre partie de cette même population. En fait, cette cagnotte sert d’instrument de récupération politicienne au prix d’une dangereuse et non moins honteuse division des français entre des français de souche, et français issus de l’immigration.
Certes, dégrader les biens privés ou publics, brûler, piller…est intolérable, et rien ne peut justifier ou excuser de tels actes. Mais alors cette cagnotte ne vient- elle pas « légitimer » un acte encore plus grave, celui de tuer un gamin de 17 ans par l’arme de celui qui est censé le protéger: l’agent de police, soldat de la démocratie, comme on nous l’a appris à l’école française? Ne renforce-t-elle pas ce sentiment de haine chez ces jeunes de banlieues, devenus victimes de choix des policiers à la gâchette facile?
Tous ceux qui participent à renflouer cette cagnotte devraient savoir qu’il se rendent complices du crime du jeûne Naël et de tous ceux qui tomberont demain dans les banlieues de grandes villes de France, si de vrais changements ne sont pas entrepris dans les banlieues. Car au vu du succès de cette cagnotte et de la somme qu’elle a engrangée si vite, le racisme devenant une affaire hautement rentable est appelé à se développer et à perdurer.
Mais le plus curieux encore dans cette triste affaire, est que l’on n’a encore entendu aucune voix de la France officielle s’élever pour dénoncer l’initiative de Messiah ou demander de l’annuler.
Non, cette France- là qui sent la ségrégation et la discrimination, cette France du « délit de faciès », qui rechigne à assumer son passé, qui refuse de voir son avenir préférant parquer ses nouveaux citoyens dans l’anonymat des banlieues quitte à se priver de leur intelligente richesse, cette France- là qui donne légalement un permis de tuer des gamins perturbateurs, n’est celle que j’ai connue et dont j’ai aimé la langue et la culture.