Depuis de longues années, le Yémen n’est plus l’« Arabie heureuse », la terre de « prospérité » de jadis. La guerre ravage ce qui fut, en partie, le royaume mythique de Saba, une guerre qui n’émeut guère un monde qui ne se presse pas pour y mettre fin. Le jeu des alliances, l’équilibre géostratégique mènent à une certaine inaction.
En 2018, l’ONU a demandé à l’Arabie Saoudite d’arrêter cette « guerre stupide », une trêve a été conclue, de courte durée. En prenant ses fonctions à la Maison Blanche en janvier 2021, Joe Biden a affirmé que « cette guerre doit cesser » et qu’il mettait fin « à tout soutien américain aux opérations offensives, y compris les ventes d’armes”. En septembre, les Etats-Unis signent un contrat de vente de missiles air-air et de lanceurs sur rail, précisant qu’il s’agissait de moyens « défensifs »… A Noël, le pape François attirait l’attention sur ce conflit oublié : « Nous entendons le cri des enfants s’élever au Yémen où une terrible tragédie oubliée de tout le monde se déroule en silence depuis des années ».
Qu’ils soient dans un camp ou dans l’autre, les 30 millions de Yéménites manquent de tout, d’eau, de nourriture, de médicaments. La faim, les maladies, la contamination à l’uranium appauvri des bombes saoudiennes et émiraties emportent, tuent tous les jours. Un enfant de moins de cinq ans meurt toutes les neuf minutes. Faute de fonds nécessaire, l’ONU a réduit ou arrêté l’aide humanitaire alors que 80% des habitants en dépendent. 377 000 personnes, au moins, ont été tuées à cause de la guerre.
Les enfants meurent aussi au combat. Les rebelles Houthistes comme les forces gouvernementales comptent des gosses dans leurs rangs, qui, trop souvent tiennent en suçant des feuilles de khat, cette plante stimulante et euphorisante. Au début de la guerre, l’Unicef estimait que les moins de 18 ans constituaient un tiers des troupes. A quinze ans, kalachnikov en mains, ils gagnent plus qu’un ouvrier, font vivre la famille qui, parfois, les encourage.
Le conflit remonte à 2004 :les chiites de la province de Saada, à la frontière de l’Arabie Saoudite, emmenés par Hussein Badeddrine al-Houthi, se révoltent car ils s’estiment écartés de la vie politique et économique. Le rebelle est tué en septembre, mais les querelles ne sont pas enterrées et Ansar Allah, le mouvement militaire des Houthis, se développe. En 2009, l’Arabie saoudite frappe pour la première fois et l’Iran commence à fournir des armes aux Houthistes, ou Houthis. 2011-2012 voient la chute du président Ali Abdallah Saleh, celle des sa capitale Sanaa et le refus des Houthis d’un projet de fédération et aussi la montée de l’influence d’Al Qaïda dans la péninsule arabique. Le conflit se généralise en 2014 et l’année suivante, l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis prennent la tête d’une coalition de soutien au gouvernement reconnu internationalement du président Abd Rabbo Mansour Hadi qui a succédé à Saleh.
Aujourd’hui, la guerre se concentre dans la région de Marib, à 120 km de Sanaa, aux portes du désert central. La province fournit 10% du gazole et 90% du gaz de pétrole consommé dans la pays pour la cuisine et le chauffage. Les Houthistes sont convaincus que si Marib tombe, ce sera la fin de la guerre, leur victoire. Les bombardements saoudiens sont incessants et les pertes, non confirmées, très élevées. Le 25 décembre dernier, Ryad a décidé une opération militaire « à grande échelle après une attaque de drone qui a fait deux victimes, la premières mortelle depuis 2018. Les Houthis ont riposté en menaçant d’ « opérations douloureuses » si « les agressions et crimes » se poursuivent. Dans la province, les Houthis font face aux milices tribales sunnites, aux supplétifs soudanais, au reste de l’armée loyaliste et aux avions de la coalition. Ils tentent, sans succès pour l’instant, de négocier avec les tribus.
Conflit de pouvoir, mais aussi conflit religieux : 40% des Yéménites sont des zaïdites, l’une des trois branches du chiisme que l’Arabie saoudite et les Emirats combattent. Que l’Iran soutient même s’il est de l’école du chiisme duodécimain.
Le conflit semble s’être étendu à la mer Rouge où les Houthistes viennent de s’emparer d’un bâtiment battant pavillon émirati, le Rawabi, accusé de transporter des armes et non des équipements médicaux. Le journal Al Masirah, organe quasi officiel de Houthis faisait le 5 janvier écho à « la liesse populaire autour du succès de la marine » et rappelait les menaces des rebelles houthistes de mettre en application leurs menaces maintes fois formulées d’interrompre la navigation internationale dans le détroit de Bab El-Mandeb. Un précédent, un risque important pour la suite de ce conflit. Samedi 8 janvier, la coalition dirigée par l’Arabie saoudite a accusé les Houthis et leurs soutiens iraniens d’utiliser à des fins militaires les ports de Hodeida et Salif (ouest) «Le port de Hodeida est le port principal de réception des missiles balistiques iraniens», a déclaré le porte-parole de la coalition Turki al-Maliki durant une conférence de presse diffusant des images prouvant selon lui les activités militaires des rebelles en mer Rouge.
Un espoir dans ce paysage bien sombre : l’Iran a annoncé le 23 décembre qu’il était prêt à reprendre les négociations avec l’Arabie saoudite et à participer au prochain cycle de pourparlers, afin d’apaiser les tensions avec Riyad, avec une médiation irakienne. Les pourparlers visant à rétablir les relations diplomatiques rompues en 2016 entre les deux adversaires de longue date, ont été entamés en avril dernier, avant d’être suspendus, après les élections législatives en Irak, qui ont eu lieu en octobre dernier.