Tunis, Tripoli, Le Caire, ou Damas…, c’est ce même orient arabe et musulman. C’est cette même histoire de peuples toujours réfractaires au pouvoir de la raison, toujours à la recherche d’un guide, d’un héros, d’un prophète.Et quand ils ne trouvent pas cet être exceptionnel, ils finissent par le créer de toutes pièces et l’élever au rang d’un demi-dieu qui les oriente et les rassure. Cela est évidemment aux antipodes de la démocratie qui est « le pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple ».
Et pourtant.
Quand ce 11 janvier 2011 le peuple tunisien descend dans la rue pour chasser Ben Ali et exiger liberté et dignité, il n’avait nul besoin d’un héros. Le seul héros, c’était lui-même .C’est ce peuple tunisien qui a été l’artisan de sa propre démocratie. Une démocratie qui faisait figure d’exception dans cet orient arabe et musulman tourmenté et irrationnel. Enfin, jusqu’à ce dimanche 25 juillet.
En prenant les décisions qu’il a prises de geler l’Assemblée, de dissoudre le gouvernement et d’accaparer le pouvoir, le président Saïd joue gros.
Il met d’abord fin, même temporairement, à cette exception tunisienne consacrée dans des institutions républicaines élues démocratiquement et en tête desquelles l’Assemblée des représentants du peuple qu’il a gelée, et dans une liberté d’expression à laquelle il vient de donner un premier coup de canif en fermant le bureau d’Al Jazira et en démettant le PDG de la Télévision nationale.
Combattre la corruption ou faire payer les escrocs de l’Etat et les responsables de fraudes fiscales est une œuvre louable et constitue une demande populaire. Elle ne peut cependant être accomplie sur un claquement de doigts. À moins de tomber dans l’arbitraire, et la justice révolutionnaire, pareille entreprise demande apaisement et, là encore, du temps. Et c’est encore ce temps qui manque pour présenter la feuille de route que tout le monde revendique pour savoir où l’on va après ce 25 juillet.
Engagé dans une course contre la montre, Kaïs Saïd est seul .Sans gouvernement et sans parlement qui partageraient sa responsabilité, et désormais seul maître à bord, il sera tenu personnellement comptable de tous les chocs et erreurs éventuels.
Face à lui tout un peuple et à sa tête tous ceux qui sont descendus dans la rue pour applaudir ses décisions, excités et plein d’attentes.
Le chantier que le Président vient d’ouvrir est colossal et il n’y a pas de miracle à espérer.
Les caisses de l’Etat sont vides et le pays, privé de ressources touristiques depuis l’apparition du coronavirus, est surendetté et est incapable de boucler son budget. Plus grave encore, le coup de force de ce 25 juillet, s’il réjouit une frange de la population, arrive à un moment particulier où les pays dits amis, sous la menace du virus, se replient sur leurs frontières et leurs propres intérêts. Il ne faut rien attendre, sinon des réactions hostiles. L’Occident est fondamentalement contre tout coup d’Etat, si « éclatant » et justifié que puisse être ce coup d’Etat. C’est une question de principe philosophique et politique qui échappe un peu à l’entendement de nos élites.
Ce sont d’ailleurs ces élites qui ont aujourd’hui la responsabilité de faire garder au président Saïd la lucidité qui lui évitera les errements et les dérapages.
Après en avoir fait un héros investi d’une mission de sauveur, ils seraient bien avisés de choisir la seule voie sûre qui permettra de garder allumée la flamme de l’espoir: le dialogue!
Plus que d’un héros, les Tunisiens ont besoin d’un rassembleur. Qui écoute, qui rassure, et surtout qui rétablisse la confiance dans l’esprit des tous les citoyens