Par Abdeljelil Messaoudi
Par un bref communiqué, comme il est désormais d’usage depuis le 25 juillet 2021, la Présidence a annoncé hier sur son site Facebook la décision du Président Saied de mettre fin aux fonctions du Ministre des Affaires étrangères, de l’Émigration et des Tunisiens à l’étranger, Othman Jérandi, et son remplacement par Nabil Ammar.
Le communiqué ne donne pas les raisons du limogeage de Jérandi. Pas plus d’ailleurs qu’il n’en a donné concernant la mise à l’écart récemment du ministre de l’Agriculture ou celui de l’Éducation et leur remplacement. Rien en fait, ni personne n’obligent le Président à justifier ses décisions. La Constitution -sa Constitution, peut-on dire- qui en fait le seul maître à bord du navire Tunisie, en lui octroyant les pleins pouvoirs, l’autorise à ne rendre compte à personne de ses décisions. Ce qu’il fait d’ailleurs en s’en donnant à cœur joie, en l’absence de tout contre-pouvoir.
Il faut dire dire que les Tunisiens ne découvrent pas ce genre de pratique de la chose politique.
Déjà du temps de bourguiba, ils avaient appris à lire sur les lèvres du Combattant Suprême et sur sa mimique, lors du télé- journal du soir, pour déchiffrer les raisons de sa disgrâce et les limogeages de ses collaborateurs.
Avec Ben Ali, il y avait toujours un moyen pour comprendre. L’information concernant le renvoi ou la nomination, prenant d’abord la forme d’une rumeur savamment distillée par des circuits officieux, finissait souvent par se confirmer.
Kais Saied semble, quant à lui, avoir décidé des limites autorisées à l’opinion publique nationale de savoir des décisions présidentielles:ce sont celles délimitées par le texte des communiqués émanant de la Présidence. Point barre.
Pourtant, le limogeage d’un ministre de l’importance de celui des Affaires étrangères, de l’Émigration et des Tunisiens à l’étranger, n’est pas chose anodine. Le poids de ce ministère dépasse celui, généralement perçu, de la promotion de la politique étrangère ou celui de la traditionnelle gestion des représentations diplomatiques du pays. La diplomatie nationale représente aujourd’hui un poids économique évalué à 70 % que le ministère des Affaires étrangères est censé assumer à travers une stratégie portée par des diplomates chevronnés et convaincus -et surtout convaincants, mais aussi par des actions d’appoint de création d’une image attrayante et crédible. Sans compter, évidemment, les classiques traités, accords de coopération et autres mémorandums d’entraide et de compréhension. Les scandales ayant éclaté récemment au sein du Parlement européen démontrent, à rebours, l’intérêt que certains pays ont compris de devoir marquer une présence de tous les instants, et de développer une image dynamique, attrayante et influente.
Diplomate de carrière, Othman Jéradi a fait ses armes dans le multilatéral en représentant la Tunisie auprès de l’Onu, avant d’être nommé ambassadeur dans plusieurs pays africains et en Asie de l’Est. Une riche expérience mais qui s’est faite loin de l’Europe, qui constitue notre principal partenaire et le centre de nos intérêts avec un taux d’échange estimée à plus de 80%. L’Union européenne(UE) n’est du reste pas qu’un simple partenaire économique aussi important soit-il. Avec sa machine institutionnelle composée par le triangle Conseil/Commission/Parlement, l’UE détient une force politique énorme sur la base de ses valeurs fondatrices qui sont la démocratie, l’État de droit et le respect des droits de l’homme. Elle fait sans discontinuer valoir ces valeurs auprès de tous ses partenaires, dont la Tunisie, liée par un accord d’association avec l’UE depuis l2 17 juillet 2005.
La nomination de Nabil Ammar, dernier ambassadeur tunisien en poste auprès du Royaume de Belgique et de l’Union européenne explique les raison de l’insatisfaction du Président Saied de son désormais ancien ministre des Affaires étrangères. Faut-il rappeler que le premier accroc à l’image de notre pays depuis dix ans, lui a été fait par le Parlement Européen en octobre 2021 à travers une résolution qui ne laisse point de doute?
On comprend dès lors ce qui est attendu du ministre Nabil Ammar. Il s’agit de rétablir la confiance avec notre principal partenaire qu’est l’UE, et donc avec le reste des puissances occidentales, dont les États-Unis, qui nous voient à travers l’œil européen, de relancer la coopération et de prouver la bonne volonté du régime actuel de poursuivre le processus démocratique.
Oui mais quels sont les moyens du nouveau chef de la diplomatie nationale pour réaliser ces objectifs et faire rayonner de nouveau l’image du pays?
Autant dire pas grand’chose.
Refermé sur lui-même, le ministère des Affaires étrangères ne tolère plus ces bouffées d’oxygène que lui offrait autrefois des apports extérieurs.
Sans stratégie annoncée, d’autre part, et ayant mangé son pain blanc » révolutionnaire « , notre diplomatie ne convainc plus et est devenue inaudible. L’absence de l’Assemblée nationale et des autres structures partisanes privent, par ailleurs, cette diplomatie d’une aide précieuses sous formes diverses de diplomatie dite parallèle, parlementaire ou partisane.
Autant dire que la mission de Nabil Ammar ne sera pas des plus aisées. A moins qu’il fasse sienne la fameuse expression : « donnez-moi une bonne politique intérieure, je vous ferai une bonne politique étrangère ».