Vendredi, Vladimir Poutine affirmait que tout allait bien, que la Russie « fait tout comme il faut en Ukraine ». Ce dimanche, c’est Xi Jinping, son homologue chinois, qui contourne lui aussi la réalité. Dans son discours d’ouverture du 20e congrès du parti communiste chinois, il a assuré que dans tous les domaines, il avait pris et prenait les bonnes décisions. Et qu’il poursuivrait sur la même ligne.
La stratégie « zéro covid » ? Elle a « protégé au plus haut point la sécurité et la santé du peuple et a atteint des résultats positifs significatifs en coordonnant la prévention et le contrôle de l’épidémie avec le développement économique et social ».
Taïwan ? « Nous avons mené résolument une lutte contre le séparatisme et l’ingérence, et démontré notre détermination et notre capacité à sauvegarder la souveraineté nationale, l’intégrité territoriale et à nous opposer à l’indépendance de Taïwan » mais « nous ne renonceront jamais à l’usage de la force » pour la réunification.
Hong Kong ? Le territoire « est passé du chaos à la gouvernance ».
La lutte contre la corruption menée depuis son arrivée au pouvoir en 2012 ? « La lutte contre la corruption a remporté une victoire écrasante et a été consolidée de manière exhaustive, éliminant les graves dangers latents au sein du parti, de l’Etat et de l’armée »
Le changement climatique ? La Chine « participera activement à la gouvernance mondiale sur le changement climatique » et “favorisera l’utilisation propre et efficace du charbon”.
Tout va donc bien dans l’empire du milieu, en réalité l’empire de l’opaque et du contrôle total de la société. Quelques jours avant ce congrès, des banderoles ont fleuri à Pékin avec ce genre d’inscription : « Pas de tests Covid, mais je veux à manger. Pas de Révolution culturelle mais des réformes. Pas de confinement mais la liberté. Pas de dirigeant mais un vote. Pas de mensonge mais la dignité. Je ne veux pas être un esclave mais un citoyen ». Ou « il faut chasser le traître dictateur Xi Jinping ». La police a réagi en réprimant comme à son habitude. Dans les semaines précédant cette réunion au sommet, quelque 1,4 million de personnes ont été interpellées. La Chine de Xi, c’est 370 caméras à reconnaissance faciale pour 1000 habitants, selon l’institut de recherche Comparitech (13 à Londres) et des sanctions immédiates pour tous ceux qui enfreignent les règles. Les citoyens sont notés…
La lutte contre la corruption sert aussi à se débarrasser des rivaux potentiels, des voix dissidentes. 1,5 million de « tigres » (hauts dirigeants) ou de « mouches » (petits fonctionnaires) éliminés en dix ans. 1100 affaires jugées depuis le début de l’année. Et dans les écoles, du primaire à l’université, on enseigne la pensée de Xi Jinping qui est rentrée dans la constitution à l’égale de celle de Mao.
Le congrès du parti n’est qu’une chambre d’enregistrement. Tout est joué d’avance. Avant que les quelque 2300 délégués ne se réunissent, le comité central a déjà entendu le patron qui ne tolère aucune contestation.
Malaise de la classe moyenne
Et pourtant… Dans les démocraties libérales, Xi Jinping n’aurait que peu de chances d’être réélu lors d’élections libres. Sa politique « zéro covid » a mis à mal l’économie. Tous les voyants sont au rouge. Selon la Banque mondiale, la croissance ne serait que de 2,8% cette année alors que depuis 40 ans, elle est souvent à deux chiffres. L’immobilier, 15% du PIB, connaît une chute des ventes de 30% et les promoteurs accumulent des dettes de plusieurs centaines de milliards de dollars. L’économie est minée par la dette -peut-être 300% du PIB si on les cumule toutes- et la vie devient de plus en plus difficile.
La classe moyenne, de 350 à 700 millions de personnes contre 15 au début du siècle, se sent déclassée. Le malaise grandit d’autant plus que les jeunes diplômés des universités ont du mal à trouver du travail, 20% sont au chômage et ce taux progresse. 61% des 241 000 qui ont répondu à un sondage du réseau Weibo choisissent le « lying flat » ou « « tang ping », le « rester coucher » ou même le “let it rot », « bai lan », « laissez- le pourrir » !
Le vieillissement démographique perturbe aussi l’économie. La population en âge de travailler se réduit chaque année de 1,25%. Le système de retraite ne représente que 4% du PIB contre 11% en Europe. Pour vivre, des retraités vendent leurs biens immobiliers, ce qui entraîne une chute des prix et augmente la crise. 87% des Chinois possèdent leur appartement, 20% sont multipropriétaires.
Tous ces facteurs poussent les économistes internationaux à penser que la croissance potentielle de la Chine dans les années à venir sera seulement de 2,5% contre 3% aux Etats-Unis. La promesse de Xi Jinping de doubler la taille des l’économie d’ici à 2035 serait donc irréalisable car elle suppose une croissance annuelle de 4%.
Dé-occidentalisation
De nombreux sinologues estiment que le successeur du « timonier » qui aime se faire appeler « navigateur » fait passer aujourd’hui l’idéologie avant la croissance économique. L’essentiel est le contrôle total du parti dans tous les domaines. Le parti et ses 100 millions de membres avant tout. Les entreprises d’Etat emploient 12% de la main d’œuvre et participent pour 25 à 30% du PIB. Le contrôle sur les entreprises privées ne cesse de se renforcer. Jack Ma, le créateur d’Alibaba a payé cher ses critiques du pouvoir.
La Chine de Xi maintiendra tous ses programmes, des nouvelles routes de la soie à la pénétration diplomatique et économique de l’Afrique et sait qu’elle a encore besoin de l’Occident pour progresser, mais son but, à terme, est de se dé-occidentaliser, d’imposer un autre ordre mondial – elle noyaute déjà les organisations onusiennes. La Chine, a redit son leader, s’oppose « catégoriquement à toute forme d’hégémonisme et de politique de puissance, à la mentalité de Guerre froide, à l’ingérence dans les affaires intérieures d’autres pays et à la pratique du deux poids deux mesures.”
Le 4 février dernier, lors de l’ouverture des Jeux Olympiques d’hiver à Pékin, Xi Jinping et Poutine vantaient leurs véritables démocraties » qui prenaient en compte « les besoins et les intérêts des citoyens ». Pour eux, les démocraties décadentes sont incapables de s’adapter rapidement aux changements, il faut des élections… Les autocraties le peuvent. Xi n’use pas de ce mot et préfère parler de « gouvernements forts, autoritaires et confucéens ».
Tout va donc bien en Chine. On saura dimanche si c’est bien exact. Les pékinologues examineront avec attention la liste des 25 du bureau politique et surtout des 7 du comité permanent. Xi aura-t-il dû faire des concessions à ses opposants, car il y en a malgré l’unité de façade obligatoire. Des « réformistes » vont-ils être promus ou des « conservateurs » attachés à la domination du parti ? Bien sûr, il sera réélu pour cinq ans, étape d’un possible pouvoir à vie depuis qu’il a fait changer en 2018 la constitution interdisant plus de deux mandats. Une décision de Deng Xiaoping pour lutter contre le culte de la personnalité. Que Xi cultive avec ardeur.