« Roseline a 16 ans. À la fin de l’année dernière, alors qu’elle sortait de chez son amie pour se rendre au magasin, elle a été enlevée par des hommes armés. Elle a été enfermée dans une camionnette avec d’autres jeunes filles et emmenée dans un entrepôt. Là, elle a été violemment battue. Elle a ensuite été droguée et, pendant ce qu’elle pense avoir duré un mois, elle a été violée en permanence. Lorsque le groupe armé s’est rendu compte que Roseline n’avait personne pour payer la rançon de son enlèvement, elle a été libérée. Elle se trouve actuellement dans un refuge soutenu par l’UNICEF avec plus d’une douzaine d’autres filles, toutes prises en charge ».
Ces propos tenus hier vendredi par James Elder, porte-parole de l’UNICEF, lors d’une conférence de presse au Palais des Nations à Genève, témoignent du drame que vit Haïti et qui ne mobilise guère le monde.
Depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse, en juillet 2021, Haïti est confronté à une crise multiforme. Les chiffres sont terribles et alarmants : les cas de violences sexuelles contre les enfants en Haïti ont augmenté de 1000 % en un an, une multiplication par dix enregistrée entre 2023 et 2024 ; le recrutement d’enfants par des groupes armés a augmenté de 70 %. Aujourd’hui, près de la moitié des membres de ces groupes sont des enfants, dont certains n’ont pas plus de huit ans ; au moins 5.601 personnes ont été tuées par la violence des gangs, soit mille de plus qu’en 2023 selon l’ONU ; plus d’un million de personnes sont déplacées, soit environ trois fois plus qu’il y a un an, a indiqué cette semaine l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) ; près des trois-quarts de la population haïtienne vit sous le seuil de pauvreté.
Les gangs contrôlent 85% de la capitale Port-au-Prince. Ils attaquent, pillent, enlèvent, rançonnent, violent, tuent. Il y a dix jours, une coalition de gangs connue sous le nom de Viv Ansanm (Vivre ensemble, en créole haïtien) a tué plus de 40 personnes dans un quartier huppé. « La police savait, les autorités savaient… et malgré tout, ils nous ont abandonnés », dénoncent des survivants du massacre. Peu nombreuse et mal armée, la police est incapable de rétablir l’ordre. La Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS), dépendante de l’ONU et déployée en Haïti depuis juin dernier, ne compte que quelque 1.100 policiers issus de six pays -surtout du Kenya. 2.500 sont espérés au total. Elle manque de matériel et d’argent. Trump, en arrivant à la Maison Blanche, avait supprimé l’aide américaine, son secrétaire d’Etat Marco Rubio a annoncé son rétablissement.
L’État haïtien est-il encore en mesure d’assumer ses responsabilités ? Le président du Conseil présidentiel de transition, Leslie Voltaire, vient d’effectuer une tournée européenne au cours de laquelle il a rencontré le pape François et annoncé des élections en novembre. Il a reçu des encouragements et des promesses, mais rien de vraiment concret.
Sur place, on se demande s’il faut inclure les gangs dans le processus électoral, ce qu’ils réclament. Une partie de la population y est favorable et la Caricom, la Communauté des Caraïbes, estime que leur participation au processus politique pourrait assurer le succès des élections.
Le mal haïtien s’appelle aussi drogue. Depuis des dizaines d’années, des hommes politiques, des entrepreneurs et maintenant les gangs ont fait du pays une plaque tournante du trafic lié évidemment à la corruption et au blanchiment d’argent. Ce blanchiment se fait en utilisant l’industrie et le commerce de l’anguille selon l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC)…