Mercredi, le général Min Aung Hlaing, commandant en chef de l’armée, avait menacé d’abroger la constitution de 2008 pourtant dictée par les militaires et des rumeurs de coup d’État circulaient. Samedi, il revenait sur ses propos, mais on savait que le torchon brûlait entre l’armée et la Ligue nationale pour la démocratie, parti au pouvoir depuis les élections du 8 novembre dernier, remises en cause par les généraux. Du coup, le coup d’État de ce matin ne constitue qu’une demi-surprise.
Les élections avaient vu la victoire massive de la LND, 396 des 476 sièges au Parlement contre seulement 33 pour le parti pro-armée, l’Union pour la solidarité et le développement, en plus des 25% réservés aux militaires.
Tôt ce matin, la cheffe de fait du gouvernement, Aung San Suu Kyi, le président Win Myint, des responsables de la LND mais aussi des artistes et des personnalités civiles ont été arrêtés et emprisonnés.
L’armée s’est justifiée en affirmant que le gouvernement n’a pas voulu enquêter sur les 8,6 millions de « mauvaises pratiques de vote » qui, selon elle, ont faussé les résultats électoraux. En décrétant l’État d’urgence pour un an avant la tenue de nouvelles élections, les militaires se sont appuyés sur leur constitution qui prévoit ce recours en cas de risque de « désintégration de la solidarité nationale » ou de « perte de souveraineté ». L’ancien général U Myint Swe, chargé d’appliquer l’État d’urgence, a désigné le commandant en chef Min Aung Hlaing pour assumer « les pouvoirs législatifs, administratifs et judiciaires ».
Pourquoi l’armée a-t-elle donné ce coup d’arrêt à dix ans de démocratisation? Une réaction aux législatives qui avaient entériné le renouveau de la société civile. Les militaires conservaient une bonne partie du pouvoir, un droit de veto, détenaient de gros intérêts économiques, un pouvoir diplomatique et contrôlaient Aung San Suu Kyi. Peut-être pas suffisamment car elle avait réussi à diriger de fait le Myanmar alors qu’elle n’avait pas le droit d’être présidente et essayait patiemment de contrer la main-mise des militaires.
Le monde entier a condamné le coup d’État et appelé à la libération d’Aung San Suu Kyi et de tous les prisonniers. L’Onu, les Etats-Unis, l’Union européenne, le Japon (…) sont unanimes, mais il faut noter que Bruxelles n’a pas cité le nom d’Aung San Suu Kyi qui a perdu beaucoup de son crédit en soutenant la répression contre les Rohingyas.
Icône de la non violence et de la démocratie, emprisonnée ou en résidence surveillée de 1989 à 2010, la fille d’un héros de l’indépendance de la Birmanie, prix Nobel de la paix en 1991, est tombée de son piédestal en refusant de défendre la cause des musulmans rohingyas massacrés ou expulsés du pays en 2016 et surtout 2017. En décembre 2019, devant la cour pénale internationale de La Haye, elle avait démenti toute « intention génocidaire » et affirmé que le tableau dressé était « trompeur et incomplet ». En septembre dernier, le parlement européen l’avait exclue de la «communauté» des lauréats du Prix Sakharov des droits de l’homme, qui lui avait été décerné en 1990,
Ce coup d’État pourrait bien marquer la fin de la carrière de la « dame de Rangoon » âgée aujourd’hui de 75 ans.