Ils aiment leur pays, mais cultivent avec ardeur leur liberté de penser. Incompatible pour l’Algérie de Tebboune et de ses généraux surtout depuis les nouveaux articles du code pénal adoptés en mai qui prévoient notamment de lourdes peines, comprises entre 20 ans à 30 ans, contre « quiconque divulgue des informations ou des documents confidentiels relatifs à la sécurité nationale et/ou à la défense nationale et/ou à l’économie nationale à travers les réseaux sociaux en vue de nuire aux intérêts de l’État algérien ou à la stabilité de ses institutions ».
Esprits libres et critiques, les écrivains Kamel Daoud, prix Goncourt pour son roman « Houris » et Boualem Sansal, pourfendeur du régime, de l’islamisme et de l’intégrisme, sont aujourd’hui victimes de cette incompatibilité. Le roman du premier est interdit, en vertu de l’article 46 de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale qui punit d’emprisonnement quiconque « utilise ou instrumentalise les blessures de la tragédie nationale pour porter atteinte aux institutions de la République populaire algérienne et populaire, fragiliser l’Etat […] ou ternir l’image de l’Algérie sur le plan international ». Et une plainte a été déposée contre lui par une femme qui affirme qu’il s’est inspiré, sans son autorisation, de son histoire.
Le second, qui a été arrêté le 16 de ce mois à son arrivée à Alger a tenu des propos intolérables pour le régime dans une interview au média français d’extrême droite Frontières. Il a ainsi affirmé que la France avait amputé le Maroc d’une partie de son territoire au profit de sa colonie algérienne et ajouté que la France n’a pas colonisé le Maroc parce que « c’est un grand État ». Or, « c’est facile de coloniser des petits trucs qui n’ont pas d’histoire, mais coloniser un État, c’est très difficile ».
La France, président de la République en tête, s’est émue de la « disparition » de Boualem Sansal dont l’arrestation a été confirmée vendredi par l’agence de presse algérienne qui se déchaîne contre la France. Une colère qui couve depuis la reconnaissance par Emmanuel Macron de la souveraineté du Maroc sur le Sahara Occidental. « L’arrestation de Boualem Sansal, pseudo intellectuel, vénéré par l’extrême-droite française, a réveillé les professionnels de l’indignation », a écrit l’APS.
Dans une dépêche, l’agence dénonce « l’agitation comique d’une partie de la classe politique et intellectuelle française sur le cas de Boualem Sansal », qui est pour elle une « preuve supplémentaire de l’existence d’un courant « haineux » contre l’Algérie ». « Un lobby qui ne rate pas une occasion pour remettre en cause la souveraineté algérienne », a ajouté l’APS qui remarque que « tout le bottin anti-algérien et accessoirement pro-sioniste de Paris, s’est levé comme un seul homme: Eric Zemmour, Mohamed Sifaoui, Marine Le Pen, Xavier Driencourt, Valérie Pécresse, Jack Lang, Nicolas Dupont Aignan et évidemment Tahar Benjelloun, son ami marocain qui récupère d’une sciatique à force de baise main à Mohamed VI. Tous montent au créneau pour ce révisionniste qui s’est pris les pieds dans le tapis. »
Dans cette Algérie qui inspire certains Etats, l’étau se resserre autour des journalistes, des opposants politiques, mais aussi des millions d’utilisateurs des réseaux sociaux. « Mon frère Sansal est derrière les barreaux, comme l’Algérie tout entière. », constate avec regret Kamel Daoud.
L’Algérie d’aujourd’hui, c’est un pays où plus de la moitié des 47 millions d’habitants ont moins de 30 ans et rêvent de liberté, de développement, ont soif d’entreprendre mais où les dirigeants âgés de plus de 70 ans -75 ans de moyenne pour Tebboune et ses principaux ministres- et s’accrochent à leurs pouvoirs politiques et économiques. La majorité des Algériens pensent comme Boualem Sansal.