Par Abdeljelil Messaoudi
« Du pain et des jeux de cirque » ( panem et circenses)!
Il y a déjà 19 siècles, le poète romain Juvenal lançait cette phrase, empreinte de déception et de colère, à l’encontre de ses concitoyens qu’il accusait de s’être réduits à ne chercher qu’à manger et à se divertir.
Si l’on transpose la célèbre phrase du poète romain sur notre réalité tunisienne d’aujourd’hui, on serait étonné de voir à quel point elle y trouverait sa justesse et sa justification. Comme les romains décadents du premier siècle de notre ère, nous aussi nous ne demandons plus que du pain et des spectacles.
PAS DE PAIN, MAIS DES FESTIVALS
Pour avoir ce pain, nous avons accepté d’oublier toutes nos fiertés et nos prétentions, en découvrant l’immensité de notre dépendance et notre précarité. C’est triste de le dire, mais on a quand même réappris à faire la queue devant les boulangeries, sous un soleil de plomb.
Pour les spectacles, et contrairement au pain, c’est l’abondance. Il n’y a que ça, des spectacles. Dans tous les coins du pays. En veux-tu, en voilà. Même le Ministère des Affaires sociales s’est mis lui aussi à organiser ses festivals d’été. L’objectif étant de couvrir, autant que faire se peut, le territoire national de festivals pour répondre à un soi-disant besoin de divertissement chez les masses populaires.
Va pour le besoin de divertissement, mais que propose-t-on dans ces festivals? Des spectacles, les mêmes que l’on voit partout. Les mêmes têtes qui proposent le même produit médiocre, « bricolé » à la va vite pour répondre à la demande. Il n’y a eu d’ailleurs aucune création théâtrale ou musicale qui se respecte cette saison. Et même pas de production du tout.
FESTIVALISATION DE LA CULTURE
En fait ce phénomène s’appelle la « festivalisation » de la culture. Il s’agit de réunir une quantité de spectacles et de les faire tourner pendant la période estivale dans les villes, d’un festival à un autre. Et comme tout spectacle est soumis dans son évaluation à la qualité de l’accueil qu’il reçoit auprès du public festivalier, le souci principal de tout producteur devient, dès lors, de plaire, seulement de plaire. Et pour y arriver, le chemin le plus court, c’est la facilité, la banalité, la platitude…Le public, conditionné par les télévisions commerciales qui rivalisent en bouffonneries, gobe tout ce qu’on lui présente. Il faut dire que l’on ne va pas à un festival pour se cultiver. Conçus initialement comme des moments de rencontre et de partage autour des grandes créations locales ou internationales, ces festivals sont devenus de simples lieux de défoulement qui ne contribuent nullement au développement de la pensée, ni du goût des publics.
Il faut dire que cette « festivalisation » de la culture est devenue un véritable état d’esprit qui a pris une ampleur particulière ces dernières années. On ne semble plus voir l’action culturelle qu’en termes d’activités exceptionnelles et paradoxalement récurrentes. C’est à dire, tout simplement, sous forme de festivals qu’on organise à longueur d’année. Interminablement.
Mais l’action culturelle n’est pas que l’organisation des festivals, même si cela pourrait séduire et remplir le vide.
La culture c’est l’organisation de l’espace intellectuel, c’est la mise de la modernité au cœur de la réflexion nationale que cette culture doit susciter et soutenir. La culture c’est le débat. C’est le livre. C’est l’éducation artistique. C’est la bonne intelligence de notre patrimoine. C’est, comme ne cesse de le rappeler si pertinemment notre professeur Hassine Fantar, de nous permettre de « savoir qui nous sommes ».
Savoir qui nous sommes est sans doute le meilleur moyen de garantir durablement notre pain.