« Al Sissi Habib al-Masryein », « Hankamel Ma3ak » : les affiches, avec de tels slogans, ont fleuri dans toutes les villes pour célébrer le président qui brigue un nouveau mandat. « Vive Al Sissi, l’amoureux de l’Egypte. A côté des banderoles, des mendiants et des files de personnes devant des coopératives gérées par l’Etat où le sachet de sucre est vendu moins cher. En un an, les produits alimentaires ont augmenté de 71,9%.
L’élection, jouée d’avance, ne les intéresse pas. Leur seul souci, c’est leur vie de plus en plus difficile. En 2014, le président leur avait promis stabilité et prospérité. La stabilité, les Égyptiens l’ont, mais elle est payée au prix fort. La justice, l’armée, les institutions sont aux ordres, la presse bâillonnée, les opposants arrêtés. Début octobre, six ONG dénonçaient « le recours massif et systématique à la torture par les autorités ».
L’Arab Reform Initiative, basé à paris, souligne que Sissi « va gagner parce qu’il contrôle les institutions de l’Etat et le très redouté appareil sécuritaire, en plus d’avoir éliminé tout candidat sérieux », dont Ahmed al-Tantawi.
Nommé chef d’état-major et ministre de la Défense en juin 2012 par l’islamiste Mohammed Morsi qui le croyait compatible avec les Frères musulmans, Abdel Fattah Al Sissi a pris le pouvoir un an plus tard et banni totalement l’islamisme frériste. Et il a vu grand pour son pays, le plus peuplé du monde arabe : nouvelles infrastructures, élargissement du canal de Suez, construction d’une nouvelle capitale, achat massif d’armement… Beaucoup de dépenses et d’investissements et pas la réussite escomptée. D’où une lourde dette extérieure, des emprunts et quand les investisseurs, notamment du Golfe, se sont détournés, le recours aux bas de laine intérieurs pour financer les déficits. Une sorte de cercle vicieux qui a conduit à la dépréciation de la livre, à une forte inflation et à une aggravation de la pauvreté qui touche aujourd’hui 60 % des 106 millions d’Egyptiens.
La croissance reste assez élevé et le chômage baisse mais la crise, économique, financière et sociale, perdure. Bien sûr, il y a eu le covid, la chute du tourisme et l’Ukraine, mais pour le président, la véritable cause est la démographie galopante. Le 5 septembre dernier, à son ministre de la Santé et de la Population, Abdel Ghaffar, qui déclarait que « faire des enfants est une liberté totale », il répondait qu’ « il faut organiser cette liberté sinon elle va créer la catastrophe ». Il vise 400 000 naissances par an au lieu des 2,2 millions enregistrées en 2022. Et Al Sissi argumentait : « Pourquoi les gens sont-ils sortis en 2011 ? parce qu’ils estimaient que l’Etat ne pourvoyaient pas à leurs besoins, mais ils n’ont pas compris que l’Etat ne pouvait pas, non parce qu’il ne voulait pas, mais parce qu’il n’en n’avait pas la capacité ».
Pas question pour le président de laisser la grogne sociale monter et se déverser dans la rue. Il a annoncé des programmes sociaux pour les plus pauvres et les économistes s’attendent, après sa réélection, à des mesures d’austérité pour remettre de l’ordre dans les finances et convaincre les investisseurs réticents. Al Sissi, également confronté à une insurrection jihadiste persistante dans le Sinaï et au conflit israélo-palestinien compte aussi sur sa position de médiateur et d’allié incontournable des Occidentaux pour que son nouveau mandat soit celui du redressement du pays.
En 2018, la participation à la présidentielle a été estimée à 40%. S’ils avaient le choix, peu d’Egyptiens iraient voter aujourd’hui et jusqu’à mardi. Selon les opposants bon nombre de fonctionnaires et d’employés sont obligés d’y aller… En 2014 et 2018, Abdel Fattah al-Sissi avait recueilli plus de 96 % des voix. Cela laisse moins de 4% pour les trois autres candidats admis au scrutin.