Par Tibi Jamel
La femme tunisienne n’est jamais sortie des sentiers battus, en dépit de l’essor multidimensionnel que le pays a connu et des multiples législations mises en place en sa faveur pour lui assurer l’égalité avec l’homme.
C’est, en tout cas, ce qui ressort des constats inquiétants remarqués à travers le déroulement fâcheux de la campagne électorale qui rend compte de la situation inconfortable dans laquelle se positionnent les candidatures féminines dans cette nouvelle échéance électorale, au demeurant, imposant de nouvelles règles de jeu pour toute participation à un tel scrutin.
Il suffit d’ailleurs de jeter un coup d’œil sur le taux de participation de la femme à ces élections pour se rendre à l’évidence qu’elle est reléguée à un rang inférieur par rapport à l’homme.
Avec 122 candidatures seulement, sur un total de 1058 comptabilisées par l’instance supérieure indépendante pour les elections, la participation de la gente féminine aux élections législatives de 2022 est on peut plus dérisoire, tant elle ne représente que 11,5 pour cent de l’ensemble des candidatures qui vont se présenter le 17 décembre pour obtenir les faveurs des électeurs.
Ce taux est cependant variable d’un région à l’autre ,car il descend parfois à des niveaux jugés assez bas dans certaines régions du nord ouest où , à titre indicatif il n’est que de huit pour cent seulement dans le gouvernorat de Siliana, soit deux candidatures sur un total de 25 déposées auprès de l’instance régionale indépendante pour les élections , contre 06 candidatures sur 36 au Kef et 10 sur 48 à Jendouba.
D’aucuns expliquent, toutefois, que la faiblesse de la participation de la femme au scrutin du 17 décembre est surtout motivée par une mentalité rétrograde qui rend compte de la discrimination injustifiée dont est victime la femme tunisienne et que la société patriarcale véhicule depuis la nuit des temps.
Marwa nouasria , coordinatrice régionale du centre Chahed pour l’intégrité et la transparence des élections au Kef ,estime que la société tunisienne n’a pas beaucoup changé sur le plan mental tant l’esprit de domination de l’homme sur la femme est toujours vivace dans le pays, ce qui rend difficile, selon elle, toute action féminine isolée, notamment dans le cas de ces élections législatives qui requièrent de surcroît une grande présence d’esprit et d’engagement à même de briser les carcans et les tabous sociaux qui rendent difficile l’accès des femmes à certains espaces publics , en général considérés comme une chasse gardée pour l’homme.
Amal Mannai, poétesse et écrivaine criminalise la persistance d’une mentalité sociale favorable à l’homme ،rappelant par la même occasion que leader Bourguiba avait toujours insisté sur le fait que » le redressement national est toujours tributaire du redressement moral de la nation et du changement des mentalités , voire de leur rénovation ». Mais ,cela ne saurait se faire, à ses yeux, sans la volonté réelle des dirigeants politiques et l’amélioration des systèmes éducatifs et d’information auxquels incombe la responsabilité de nourrir les sources de l’enthousiasme chez les jeunes générations et de cultiver chez elles les bons travers de l’âme, d’autant plus que de tels secteurs représentent des instruments de persuasion et de sensibilisation indéniables à même de combattre la résurgence de l’esprit de domination de l’homme sur la femme et de rompre avec la pensée arabe classique, même si l’on peut affirmer que la Tunisie s’en est largement écartée depuis plusieurs décennies.
Une candidate aux élections législatives de la circonscription du Kef , ayant toutefois requis l’anonymat, nous a avoué, non sans grande amertume, qu’elle a rencontré de grandes difficultés pour obtenir le nombre des parrainages requis car elle était quelque peu confrontée à des obstacles d’ordre social , difficile à franchir.
« Je ne peux aller ni dans les cafés, ni dans les bars et encore moins rencontrer des hommes dans certains lieux publics réservés pratiquement au sexe masculin, nous a-t-elle confié dans un air d’essoufflement et de regret. Mais elle ne cache pas sa joie après avoir franchi le Rubicon du parrainage, en espérant que le déroulement de la campagne électorale ne lui posera pas « une nouvelle entorse dans la cheville ». Mais elle a su quand même compter sur nombre d’hommes de ses connaissances pour lui donner un coup de pouce dans sa quête des parrainages .
Pour Rached Salhi, activiste de la société civile et enseignant chercheur, le statut de la femme en matière de leadership n’a pas changé, non seulement en Tunisie, mais aussi partout dans le monde, rappelant que rares sont les femmes qui , à travers l’histoire, ont réussi à prendre les commandes du pouvoir dans leurs pays et ce, dit-il, en raison de la persistance d’une mentalité rétrograde qui accorde à l’homme la primauté au pouvoir et le droit de la dominer, notamment dans les pays musulmans où le statut de la femme est traditionnellement moins confortable par rapport à celui de l’homme.